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 Le plan de Trump sur le conflit en Ukraine : ce que l'on sait pour le moment

L'opération américaine « appâter et allumer » cible les « causes premières » de Poutine

Par Alastair Crooke - Le 21 novembre 2025 - Source  Conflicts Forum

Nous  avons donc maintenant les détails du soi-disant « plan de paix » en 28 points qu'un parlementaire ukrainien, Goncharenko, a fourni en affirmant qu'il s'agissait d'une traduction de l'original.

Le texte - écrit comme un traité juridique putatif - frappera tout lecteur expérimenté comme étant le produit d'un amateur, articulée en plusieurs parties sur des « discussions ultérieures » et sur des « attentes«.

C'est-à-dire que beaucoup d'aspects de cet accord restent ambigus et vagues. Un tel plan est, bien sûr, dans l'ensemble inacceptable pour Moscou (bien qu'ils ne puissent pas le désavouer purement et simplement). Malgré cela, le plan a suscité fureur et recul en Europe. The Economist (reflétant le point de vue de l'Establishment) qualifie le document de « terrible proposition américano-russe qui acquiesce à bon nombre des demandes maximalistes [de la Russie] et en ajoute quelques-unes de plus«.

Les Européens et la Grande-Bretagne veulent la capitulation russe, purement et simplement.

Le point ici, que Moscou précise clairement, est que Kirill Dmitriev - l'interlocuteur de Steve Witkoff pour la rédaction de cet accord - ne représente ni le président Poutine, ni la Russie. Il n'a aucun mandat officiel.

Le porte-parole de Poutine Dmitri Peskov a sèchement déclaré :

« Il n'y a pas eu de consultations formelles entre la Russie et les États-Unis sur le règlement en Ukraine mais des contacts existent ». Maria Zakharova a déclaré que « le ministère russe des Affaires étrangères n'a reçu aucune information officielle des États-Unis sur les prétendus "accords" sur l'Ukraine que les médias diffusent avec enthousiasme... La position de Moscou est que la Russie n'est ouverte au dialogue que dans les "limites" de ses principes énoncés, et les États-Unis n'ont, pour l'instant, rien proposé d'officiel qui pourrait servir de point de départ ».

Alors que se passe-t-il ?

Deux « non-envoyés«, politiquement inexpérimentés, ont eu des conversations et, à partir de ces entretiens, ont assemblé des propositions apparemment spéculatives. Il n'est même pas clair si Dmitriev avait l'assentiment pour ses entretiens avec Witkoff aux États-Unis en octobre, ou s'il agissait de sa propre initiative. Le ministère russe des Affaires étrangères nie toute connaissance du contenu de ces discussions approfondies. Ce serait extraordinaire si Dmitriev ne tenait personne au courant à Moscou.

En tout état de cause, le président Poutine a envoyé sa propre riposte au flot d'histoires circulant dans les médias occidentaux (basées  sur des fuites à Axios provenant apparemment de Dmitriev) :

Vêtu d'un uniforme militaire, Poutine a visité le poste de commandement du Groupement tactique Ouest sur la ligne de front, où il a simplement déclaré que le peuple russe "attend et a besoin" des résultats de l'Opération militaire spéciale (OMS) : "La réalisation inconditionnelle des objectifs de l'OMSEST l'objectif principal pour la Russie",  a-t-il déclaré.

La réponse de Poutine aux États-Unis est on ne peut plus claire.

Il semble donc que ce document de discussion rédigé du point de vue américain ait été conçu comme un exercice classique d' »appât et d'allumage«. Le secrétaire Rubio  a répété à plusieurs reprises qu'il ne savait pas "si la Russie était sérieuse au sujet de la paix - ou pas" :

« Nous testons pour voir si les Russes sont intéressés par la paix. Leurs actions - pas leurs paroles, leurs actions - détermineront s'ils sont sérieux ou non, et nous avons l'intention de le découvrir le plus tôt possible... Il y a des signes prometteurs ; il y a des signes troublants ».

Ainsi, les propositions ont probablement été un « ballon d'essai » pour tester la Russie. Par exemple, ils « testent » la Russie sur plusieurs domaines :

« On demande... à ce que l'OTAN ne se développe pas davantage, sur la base d'un dialogue entre la Russie et l'OTAN, mais avec la médiation des États-Unis ; l'Ukraine recevra des « garanties de sécurité fiables » [non définies] ; la taille des forces armées ukrainiennes sera « limitée » [sic] à seulement 600 000 hommes ; les États-Unis seront indemnisés pour ces garanties ; si la Russie envahissait l'Ukraine, [alors] en plus d'une réponse militaire coordonnée décisive, toutes les sanctions mondiales seront rétablies, la reconnaissance de nouveaux territoires et tous les autres avantages seront révoqués ; les États-Unis coopéreront avec l'Ukraine sur la reconstruction conjointe... et l'exploitation de l'infrastructure gazière de l'Ukraine, y compris les pipelines et les installations de stockage ».

« La levée des sanctions [contre la Russie] sera discutée et convenue progressivement et sur une base individuelle«.

« 100 milliards de dollars d'avoirs russes gelés seront investis dans les efforts de reconstruction et d'investissement menés par les États-Unis en Ukraine. Les États-Unis recevront 50% des bénéfices de cette entreprise ; la Russie consacrera par voie législative une politique de non-agression envers l'Europe [aucune mention cependant d'une quelconque réciprocité de la part de l'Europe] ».

« La Crimée, Louhansk et Donetsk seront reconnus de facto comme étant russes ; Kherson et Zaporizhzhia seront gelés le long de la ligne de contact, ce qui signifiera une reconnaissance de facto le long de la ligne de contact ; la Russie renonce aux autres territoires annexés » [soulignement ajouté].

Les paragraphes ci-dessus équivalent effectivement à un cessez-le-feu mais pas à un règlement de paix ; la reconnaissance n'étant que de facto (et non de jure) :

« Cet accord sera juridiquement contraignant. Sa mise en œuvre sera suivie et garantie par un Conseil de paix dirigé par le président Trump ».

« Une fois convenu, le cessez-le-feu entrera en vigueur ».

Cet ensemble de propositions n'est pas susceptible d'être accepté par les Européens, la Russie ou même Zelensky. Leur but est de dicter un tout nouveau point de départ à toute négociation. Toutes les concessions russes stipulées dans le texte seront « empochées » par les États-Unis, tandis que le tapis sera tiré sur les « principes déclarés » de la Russie. Les pressions sur la Russie vont s'intensifier.

En fait, l'escalade a déjà commencé. Coïncidant avec la publication des propositions, quatre ATACM ciblés et à longue portée fournis par les États-Unis ont été tirés en profondeur sur le territoire russe d'avant 2014, à Voronej, où se trouvent les radars stratégiques russes. Tous ont été abattus et les missiles russes Iksander ont immédiatement détruit les plates-formes de lancement et tué les 10 opérateurs.

Le secrétaire au Trésor, Scott Bessent, a menacé de nouvelles sanctions pour la Russie, et Trump a indiqué qu'il était d'accord avec la proposition de sanctions à 500% du sénateur Lindsay Graham pour ceux qui commercent avec la Russie - à condition que lui, Trump, ait une totale discrétion sur le nouveau train de sanctions.

L'objectif global de ces propositions est clairement de coincer Poutine et de l'éloigner de ses principes fondamentaux tels que son insistance à éliminer les causes profondes du conflit, et pas seulement les symptômes. Il n'y a aucune allusion dans ce document à une reconnaissance des causes profondes [expansion de l'OTAN et des emplacements de missiles] au-delà de la vague promesse d'un "dialogue [qui] sera mené entre la Russie et l'OTAN, sous la médiation des États-Unis, pour résoudre tous les problèmes de sécurité et créer les conditions d'une désescalade, assurant ainsi la sécurité mondiale et augmentant les opportunités de coopération et de développement économique futur".

Bla, bla, bla...

Il semble qu'une escalade va commencer. La Russie devra réfléchir à la manière de dissuader militairement les États-Unis de manière efficace, sans toutefois franchir les étapes menant à la 3e Guerre mondiale.

L'équilibre entre la dissuasion et le maintien d'une porte ouverte à la diplomatie est une ligne fine ; une trop grande insistance sur la dissuasion peut (de manière contre-productive) inciter l'adversaire à faire monter l'échelle d'escalade par réaction. Alors qu'une trop grande importance accordée à la diplomatie peut très bien être perçue par un adversaire comme une faiblesse et inciter à une escalade des pressions militaires.

Les propositions Witkoff-Dmitriev étaient peut-être (ou non) bien intentionnées, mais il est peu probable que les gardiens de l'architecture profonde de la rédemptio equitis mondiale permettent à la Russie de préserver ses valeurs « contraires«.

Kirill Dmitriev, semble-t-il, a peut-être été « manipulé«.

Alastair Crooke

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.

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