25/11/2025 ssofidelis.substack.com  19min #297236

De Kaboul à Kiev

Par  Dr Warwick Powell, le 24 novembre 2025

The Decent Interval, édition 2025

Le monde vit actuellement le dernier acte de l'ordre unipolaire post-1991. En Ukraine, l'Occident collectif a essuyé une défaite stratégique absolue face à une Russie qu'il n'a cessé de qualifier de "dépôt de carburant camouflé en pays". Les preuves sur le champ de bataille sont désormais sans équivoque : les forces russes progressent sur tous les axes majeurs. L'industrie de défense russe produit plus d'obus de 152 mm et 155 mm que l'ensemble de l'OTAN, avec des marges variant entre 3:1 et 10:1. Les brigades ukrainiennes sont reconstituées pour la troisième et quatrième fois avec des conscrits âgés de 55 à 60 ans et des blessés légers arrachés aux hôpitaux. L'idée, encore murmurée dans certains think tanks de Washington et dans les cercles de pouvoir londoniens et bruxellois, selon laquelle un lot supplémentaire d'ATACMS, un escadron additionnel de F-16 ou un milliard d'euros de plus prélevé sur les avoirs russes gelés pourraient encore "renverser la tendance" n'est en rien une évaluation stratégique. Ce n'est qu'un mécanisme de défense psychologique, le dernier bastion d'une classe politique qui refuse toujours d'admettre sa défaite.

Tel est le contexte du plan de paix en 28 points de l'administration Trump, remis au président Zelensky le 20 novembre 2025 sans consultation préalable de l'Europe, assorti d'une échéance impérative fixée au jour de Thanksgiving (27 novembre) et de restrictions discrètes des flux de renseignements et des approvisionnements en munitions. Ce document est la dernière cartouche du chef de la coalition occidentale, à court d'effectifs, d'argent, de moyens et de légitimité politique.

Le plan de paix de Trump marque la dernière étape d'une guerre menée par la coalition occidentale suivant un schéma prévisible : intégration pré-conflit aux structures de commandement de l'OTAN, domination en temps réel de l'espace de combat grâce au renseignement américain et à la guerre de l'information, pivot narratif passant de "l'effondrement imminent de la Russie" à "une impasse durable", et enfin une "sortie orchestrée" cédant territoire et souveraineté pour préserver l'image de la coalition. À l'instar du "délai raisonnable" au Vietnam et du retrait d'Afghanistan en 2021, on ne parle pas ici d'une médiation neutre, mais d'un transfert des risques : l'Ukraine assume la défaite stratégique, tandis que Bruxelles et Londres peuvent, si elles le souhaitent, endosser la responsabilité et les coûts futurs, et que Washington se réajuste pour son public national. Les positions européennes et ukrainiennes, comme les appels à la dignité de Zelensky ou la résistance de l'UE, restent marginales. C'est à Washington que se prennent les décisions, et le ton est donné par la réponse de Moscou. Sous la loupe du Hardball de Chris Matthews, le plan révèle une stratégie politique éprouvée : les concessions américaines sont présentées comme un "compromis de principe", l'adhésion russe fait la une des journaux, mais se heurte à des veto d'ordre opérationnel, offrant ainsi un effet de levier prolongé sans engagement immédiat.

Je ne vais pas passer en revue le plan de paix point par point. Bien d'autres l'ont déjà fait. Voici en résumé quelques éléments clés :

  • cession de facto de la Crimée et de l'ensemble des oblasts de Donetsk, Louhansk, Zaporijia et Kherson (y compris les 35 % environ de ces régions encore sous contrôle ukrainien),
  • zone démilitarisée de 100 à 300 km exclusivement délimitée sur le territoire ukrainien,
  • abandon définitif et juridiquement contraignant de l'adhésion à l'OTAN, assorti de garanties officielles de l'OTAN de ne plus se déployer vers l'est,
  • réduction des effectifs de l'armée ukrainienne à 150 000 militaires en service actif, avec un plafond maximal de 600 000, et retrait de tous les systèmes de frappe à longue portée (ATACMS, Storm Shadow/Scalp, systèmes nationaux équivalents),
  • détournement d'environ 300 milliards de dollars d'actifs russes gelés vers un "dispositif de reconstruction" américano-russe, dont 100 milliards de dollars seraient destinés à l'Ukraine et le reste à des projets communs, et
  • abandon progressif de toutes les sanctions occidentales, sous réserve du respect des engagements, avec pour objectif le retour de la Russie au sein du G7 (ou G8).

Les partisans de l'Ukraine, horrifiés, ont rejeté ce plan, le qualifiant de capitulation. Ils ont évoqué la déclaration de Neville Chamberlain, "la paix pour notre temps", après sa rencontre avec Hitler à Munich en 1938, comme une analogie historique appropriée. Cette analogie comporte de nombreuses approximations, et n'est pas vraiment pertinente. Du point de vue de Washington, la problématique réside dans l'exécution du retrait sans diffusion d'images susceptibles de devenir virales, comme ce fut le cas à Kaboul en 2021 pour Joe Biden, à Saigon en 1975 pour Gerald Ford, et pour chaque débâcle précédente, une fois le dernier hélicoptère envolé.

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Les Pentagon Papers version 1965-1975 remaniés pour 2025

Le précédent historique existe bel et bien, et la documentation est accessible à tous ceux qui souhaitent la consulter. Les Pentagon Papers [ Daniel Ellsberg], quelque 7 000 pages d'histoire interne du ministère de la Défense finalisées en 1969 et divulguées par Daniel Ellsberg en 1971, relatent la manière dont l'élite américaine de l'époque a réagi face au même dilemme que celui auquel la transition Biden-Trump est aujourd'hui confrontée. En voici les temps forts :

  • De novembre 1964 à février 1965, le groupe de travail sur le Vietnam (présidé par William Bundy) et les mémorandums relatifs à la sécurité nationale concluent explicitement que même un bombardement à grande échelle du Nord-Vietnam et le déploiement de plus de 500 000 soldats américains au sol ne permettraient au mieux qu'une impasse prolongée, et au pire l'effondrement du Sud-Vietnam dans les deux ans.
  • Le 3 novembre 1965, le mémorandum de McNamara à Lyndon Johnson constitue la preuve irréfutable de cette conclusion. Après le premier engagement terrestre majeur des États-Unis dans la vallée de Ia Drang, le secrétaire à la Défense a écrit que "les chances de succès sont minces", que la guerre était déjà dans une "impasse militaire et politique" et qu'une nouvelle escalade n'aurait fait qu'augmenter la facture politique du désengagement.
  • Entre 1966 et 1967, les documents internes du NSC et du département d'État font passer l'objectif déclaré de "vaincre le communisme" à "éviter une défaite humiliante des États-Unis" et donnent au Sud-Vietnam "une chance décente de survivre par ses propres moyens pendant quelque temps". L'expression "délai raisonnable" apparaît dans des communications classifiées dès 1966.
  • En mars 1968, après l'offensive du Têt, Clark Clifford (le successeur de McNamara) indique à Johnson, dans une note secrète, que la guerre est impossible à gagner et que le seul objectif encore envisageable est de se retirer sans porter atteinte à la crédibilité des engagements américains dans d'autres théâtres d'opérations. Le discours de Johnson du 31 mars, lors duquel il annonce qu'il ne se représentera pas, marque un premier revirement public.
  • De 1969 à 1973, Nixon et Kissinger s'appuient sur la même évaluation interne et poursuivent une stratégie similaire : vietnamisation, extension de la guerre au Cambodge et au Laos, bombardements de Noël 1972, le tout visant à garantir un "délai raisonnable" pour que la chute inévitable de Saigon ne se produise qu'après les élections américaines de 1972, et de préférence après le départ de Nixon.

Ainsi, la première prise de conscience explicite de la défaite inévitable au Vietnam par les plus hautes instances remonte à la fin 1964/début 1965, et la déclaration la plus limpide est la note de service de McNamara de novembre 1965. Pourtant, les États-Unis n'ont jamais fait d'"annonce officielle de retrait" du Vietnam. Le processus a été progressif.

  • La politique de "vietnamisation" de Nixon a été annoncée publiquement le 3 novembre 1969, dans le discours sur la "majorité silencieuse", mais la stratégie n'en était pas moins une escalade associée à un retrait progressif, et non une déclaration de retrait.
  • Le véritable revirement vers un retrait complet a commencé avec les accords de paix de Paris, signés le 27 janvier 1973.
  • Les dernières troupes de combat américaines ont quitté le sud du Vietnam le 29 mars 1973.
  • L'évacuation finale (chute de Saigon) a eu lieu le 30 avril 1975.

Le bilan humain de ces sept années, entre les aveux de McNamara en novembre 1965 et les accords de Paris en janvier 1973, est effarant :

  • 55 000 morts américains supplémenatires (soit 95 % du nombre total de morts américains)
  • environ 250 000 morts de plus parmi les militaires sud-vietnamiens
  • environ 800 000 morts additionnels parmi les Nord-Vietnamiens et les Viêt-Cong
  • 1,5 à 2 millions de morts supplémentaires parmi les civils vietnamiens.

Et ce, alors que les plus hauts responsables du gouvernement américain avaient déjà conclu en privé que la guerre était perdue. Le principe directeur n'a jamais été la victoire. Il ne s'agissait que de préserver la réputation des présidents et la crédibilité présumée de la puissance américaine. Personne n'a voulu être le président qui "a perdu le Vietnam". Après 1965, la guerre n'a plus été menée que pour repousser l'échéance de la décision politique intérieure.

Autrement dit, la classe politique savait que la guerre était perdue dès 1965, mais aucun président n'a eu le courage d'admettre la défaite. Ils ont donc légué cet héritage empoisonné à Johnson, puis à Nixon et enfin à Ford, prolongeant ainsi la guerre de huit années supplémentaires et causant la mort de dizaines de milliers d'Américains (et de millions de Vietnamiens), le tout au nom de la survie politique de la nation et de son prestige perçu. Telle est la substance des révélations des Pentagon Papers : après 1965, la guerre n'a plus été motivée par une volonté de vaincre, mais par de pures considérations de gestion de l'image.

Des parallèles troublants et tragiques évoquent la guerre en Ukraine. Il a toujours été publiquement soutenu que la Russie est affaiblie, que les Ukrainiens se battent courageusement et qu'ils ont simplement besoin de plus de temps et de soutien. Puis, la notion d'impasse est apparue dans le discours. Et plus récemment, force a été de constater l'écrasante supériorité de la Russie dans la guerre d'usure et de sa capacité à la soutenir. Il est de plus en plus délicat de tenter de brouiller les pistes. Les États-Unis, principal fournisseur de matériel et de munitions, participent au conflit, mais cherchent désormais à prendre leurs distances sous prétexte de faire pression sur l'Ukraine pour l'amener à accepter un accord de paix "négocié" par les États-Unis.

La manœuvre politique est évidente.

En réalité, nous assistons au schéma récurrent des conflits par procuration entre grandes puissances : l'optimisme laisse place au réalisme, puis à la résignation, tandis que le coût humain augmente et que toute issue est présentée comme une "nécessité stratégique". Les parallèles entre le Vietnam et l'Ukraine sont en effet frappants, et jamais aussi criants qu'en cette fin novembre 2025. Ce qui a été présenté comme un conte "idyllique" sur la résilience ukrainienne et la vulnérabilité russe s'est effondré sous le poids des équations militaires et politiques.

Le ton du discours public sur l'Ukraine reflète presque mot pour mot le scénario du Vietnam :

  • Résolution précoce (2022-2023) : l'Occident a présenté la Russie comme un "tigre de papier" s'effondrant sous le poids des sanctions et des défis logistiques (comment oublier les affirmations selon lesquelles l'économie russe était en "lambeaux", ou encore les sarcasmes prétendant que la Russie était réduite à dépiauter les machines à laver pour récupérer des semi-conducteurs, et que ses soldats se battaient avec des pelles, à court de munitions), tandis que les "vaillants soldats" ukrainiens n'avaient besoin que de temps, de Javelins, de HIMARS et de toute autre "Wunderwaffe" ["arme miraculeuse", terme allemand utilisé par le ministère du Reich à l'Éducation du peuple et à la Propagande, dirigé par Joseph Goebbels, pour désigner des armes révolutionnaires censées permettre le renversement de la situation militaire catastrophique du Troisième Reich à la fin de la Seconde Guerre mondiale et assurer sa victoire ultime] susceptible de séduire les soutiens, et maquiller la situation sur le terrain. Les discours provocateurs de Zelensky et les frappes de drones virales ont alimenté cette grotesque idée du "Churchill de notre temps", tout comme les assurances de Johnson en 1965 sur la "lumière au bout du tunnel", alors que les mémos de McNamara reconnaissaient l'impasse en privé.
  • L'impasse latente (fin 2023-mi-2024) : en novembre 2023, le général en chef ukrainien Valéri Zaloujny a publiquement qualifié la situation d'"impasse", un terme resté d'actualité jusqu'en 2024. Cette déclaration faisait suite au fiasco de l'"offensive estivale" lancée par l'Ukraine. Des analystes, comme ceux du Council on Foreign Relations, ont noté que l'"impasse dynamique" évoluait vers une phase plus statique, la contre-offensive ukrainienne s'essoufflant en raison d'une pénurie de munitions. Cette phase rappelle la confusion qui a suivi l'offensive du Têt en 1968, lorsque les responsables américains ont minimisé les pertes en débattant en privé de la "vietnamisation".
  • L'effondrement par usure (2024-2025) : aujourd'hui, le vernis se craquèle. L'économie russe tient bon et son armée s'est mobilisée, consciente de la nécessité de se battre. Les forces ukrainiennes, épuisées et à court d'effectifs, ne progressent plus et, au mieux, résistent tant bien que mal. La Russie progresse selon une stratégie de destruction de l'armée adverse, avec pour objectif final de revendiquer des territoires lorsque les défenseurs seront hors d'état de nuire. Les discours obscurs et provocateurs persistent, mais les chiffres ne mentent pas : la Russie produit dix fois plus d'obus que l'Ukraine, dispose de beaucoup plus d'hommes et de moyens, et ses actifs, gelés ou pas, vont lui permettre de tenir. Et très longtemps.

Et c'est là que le parallèle avec le Vietnam prend toute sa dimension tragique. Les États-Unis, qui ont versé 175 milliards de dollars d'aide depuis 2022 (principalement des équipements et des munitions), endossent désormais le rôle de principal médiateur. Le plan en 28 points de Trump exige que Kiev cède entièrement le Donbass, accepte la souveraineté russe sur la Crimée, Louhansk et Donetsk, démilitarise une zone tampon et limite ses effectifs militaires. En échange de quoi ? Des garanties de sécurité vagues des États-Unis, 100 milliards de dollars prélevés sur les avoirs russes gelés pour financer la reconstruction et le retour de Moscou au sein du G7.

L'ultimatum a été fixé avant Thanksgiving, le 27 novembre. Passé ce délai, les soutiens en renseignements et en armes seront coupés. La réponse de Zelensky ? Dans une allocution vidéo, il a déclaré que l'Ukraine risque d'y "perdre sa dignité ou un partenaire clé", mais qu'il négociera "honnêtement" avec Trump tout en coopérant avec Macron, Starmer et Merz pour parvenir à une paix "juste". Les dirigeants européens ont fait écho à cette déclaration, refusant bien sûr de concéder quoi que ce soit tout en se préparant aux réunions du G20 en Afrique du Sud. Poutine, quant à lui, qualifie cette proposition de "basique", mais persiste à vouloir traiter des "véritables origines" du conflit.

Que faut-il en penser ? Selon moi, il ne s'agit pas d'une médiation neutre, cela n'a jamais été le cas. Les États-Unis sont le belligérant majeur et les tentatives de se repositionner en tant que médiateur de premier plan ne trompent personne. Et les Européens ? Ils suivent le mouvement, mais leurs déclarations provocantes ne sont pas à la hauteur de leurs réelles capacités.

Nous assistons plutôt à un "délai raisonnable 2.0".

Trump a hérité des tergiversations de Biden à fournir une aide, saupoudre le tout de sa vision "America First" et présente la capitulation comme "la paix à tout prix". Les réseaux sociaux parlent de "chantage" ou d'"accord Poutine-Trump", déplorant la date butoir de Thanksgiving comme un facteur contraignant. Tout comme Nixon a bombardé Hanoï pour "mettre fin à la guerre de manière honorable", Trump met la pression sur Kiev pour que l'Ukraine "assume" la défaite, tandis que Washington s'exonère de toute responsabilité. Résultat ? De la politique pure et dure : les élections de mi-mandat approchent, les électeurs sont lassés des 60 milliards de dollars de dépenses annuelles et une "victoire" permettrait à Trump de passer à autre chose, par exemple à la Chine ou au Venezuela, sans que l'Ukraine ne se transforme en boulet.

Si le bourbier du Vietnam a coûté la vie à plus de 55 000 Américains et à des millions de Vietnamiens après 1965, celui de l'Ukraine continue de faire des ravages. Depuis l'annonce de l'impasse en 2023, on estime à plus de 100 000 le nombre de morts dans les rangs de l'armée ukrainienne (plus de 500 000 victimes au total depuis le début de la guerre), auxquels s'ajoutent 30 000 civils - des chiffres qui augmentent chaque jour dans l'est de l'Ukraine. Chaque concession retardée ou pause dans la fourniture d'aide prolonge l'attrition, payée au prix fort par des jeunes Ukrainiens de 20 ans coincés dans les tranchées, aux côtés d'un nombre croissant de leurs pères - et grands-pères.

Les parallèles historiques de cette quête de vérité ne stigmatisent pas seulement les dirigeants, mais aussi les systèmes : les guerres par procuration américaines, où des capitales lointaines risquent leur souveraineté au nom du prestige, tandis que les populations locales assument les conséquences. La guerre en Ukraine a permis à l'Europe de gagner du temps pour se réarmer (les dépenses de défense de l'UE ont augmenté de 20 % depuis 2022) et a redéfini, entre autres, l'ère de la guerre des drones. Il est toutefois peu probable que l'accord de paix découche sur une paix imminente. Les Européens ont répondu par une proposition alternative qui sera rejetée par la Russie. La Russie dit par ailleurs être favorable à un engagement sur la base du plan de paix, mais cela ne signifie pas pour autant qu'elle l'accepte en l'état.

Poutine maîtrise les règles du jeu.

Chris Matthews a intitulé son livre publié en 1988 Hardball : How Politics Is Played, Told by One Who Knows the Game [Hardball : comment fonctionne la politique, raconté par un initié - titre en français : Duo d'enfer]. L'une de ses principales maximes est d'une simplicité implacable :

"L'important n'est pas qui vous aimez, mais qui vous pouvez atteindre. Et la meilleure méthode pour y parvenir consiste à reconnaître d'emblée les positions de votre adversaire, tout en négociant âprement les détails".

Vladimir Poutine a passé le mois de novembre 2025 à exécuter une manœuvre digne de Hardball contre l'administration Trump.

Les déclarations publiques du Kremlin évoquent un plan préparant le terrain aux négociations futures et suggèrent que la Russie salue l'approche constructive des États-Unis et se montre disposée à discuter sérieusement. C'est la version optimiste, le "oui de principe", soit l'étreinte qui convainc Trump que Moscou négocie de bonne foi, et incite les commentateurs occidentaux à parler d'"élan vers la paix". Cependant, simultanément, les responsables russes fixent des conditions qui vident l'accord de sa substance.

  • Retrait immédiat de l'Ukraine de tous les territoires revendiqués par la Russie (y compris les 35 % encore occupés),
  • Reconnaissance préalable des "nouvelles réalités territoriales" avant un cessez-le-feu,
  • Renonciation permanente et juridiquement contraignante à l'OTAN - sous forme écrite,
  • Levée intégrale de toutes les sanctions comme condition préalable, et
  • Négociation uniquement dans des formats incluant la Chine, l'Inde, le Brésil et l'Afrique du Sud.

C'est du Matthews à l'état pur : "Toujours céder sur le principe, se battre sur les détails". "Prenez l'ennemi dans vos bras pour qu'il ne puisse pas vous frapper". "Dites oui, et pensez non". L'objectif est de convaincre l'équipe Trump qu'un accord est encore possible, alors que la Russie poursuit sa campagne hivernale. Chaque semaine de retard implique une semaine supplémentaire d'avancées territoriales irréversibles et de pertes humaines pour l'Ukraine.

Poutine ne lance pas de défi à l'Amérique. Il est bien trop prudent pour cela. Il opte pour une stratégie plus sophistiquée en poussant les États-Unis à administrer la capitulation à leur propre mandataire tout en exposant l'impuissance et l'irrélevance de l'Europe. Les diverses déclarations de l'UE sont purement symboliques, car l'Europe ne peut se permettre de mener une guerre sans le soutien en renseignement et en munitions des États-Unis. Moscou le sait et, en jouant la carte de la fermeté avec Washington, la Russie accentue systématiquement les divisions transatlantiques.

Projet de traité de décembre 2021, un récapitulatif

Soucieuse d'éviter toute interprétation selon laquelle les exigences 2025 de la Russie sortiraient de nulle part, Moscou a présenté en décembre 2021 deux documents presque identiques au plan en 28 points que Kiev est maintenant contrainte d'accepter.

  • un projet de traité avec les États-Unis exigeant des garanties juridiquement contraignantes contre l'élargissement de l'OTAN et le retour des infrastructures de l'Alliance aux lignes de 1997, et
  • un projet d'accord parallèle avec l'OTAN contenant les mêmes dispositions.

Ces deux projets ont été rejetés par l'administration Biden et l'OTAN qui les ont jugés "inacceptables" et "irréalisables". Quatre ans et plus d'un demi-million de victimes ukrainiennes plus tard, les principales exigences russes s'imposent comme une évidence, tant sur le champ de bataille que face aux impératifs politiques américains. Tel est le prix du revers occidental.

Il n'est guère surprenant que Poutine ait clairement énoncé que le conflit ne sera résolu que sur le champ de bataille, mais que la Russie reste ouverte à un règlement négocié. Cela ne signifie pas pour autant un assouplissement des conditions. Le message est le suivant : acceptez nos exigences dès maintenant et épargnez des vies, ou nous atteindrons ces objectifs, même si cela prend plus de temps que nous le souhaiterions.

Perspectives à moyen terme : le prochain test de résistance de l'OTAN

D'une manière ou d'une autre, la guerre prendra fin, peut-être après la prise de contrôle par la Russie du reste des oblasts de Donetsk et de Zaporijia, et l'extension de son emprise à Odessa, avec un changement de régime à Kiev. Le résultat stratégique est déjà acquis : la plus grande confrontation militaire conventionnelle entre l'Occident et un adversaire majeur depuis 1945 s'est soldée par la défaite de l'Occident.

Maintenant, la variable décisive sera la cohésion de l'OTAN. La stratégie de la Russie semble accélérer la scission avec Washington, qui cherche désespérément à clamer "mission accomplie" et se tourner vers la Chine, tout en laissant l'Europe en proie à une Ukraine divisée, démilitarisée et rongée par le ressentiment à sa frontière orientale. Le Royaume-Uni, l'Allemagne, la France, la Pologne et les États baltes ont déjà fait savoir que le plan en 28 points, dans sa forme actuelle, est inacceptable. Pourtant, leur capacité à soutenir la résistance ukrainienne sans le soutien du renseignement et des munitions américaines approche le zéro absolu.

Si Washington se soucie peu des conséquences d'une prolongation du conflit avec la Russie, rares sont ceux qui pensent que l'Europe a la capacité d'agir de manière autonome. Les douze prochains mois montreront si la pseudo "stratégie autonome" tant vantée par l'Europe relève de la simple rhétorique.

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L'Asie prend bonne note.

Les officiers d'état-major et les analystes du renseignement de la capitale asiatique observent la fin de partie à Kiev avec une attention clinique. La leçon prend forme. Quand les coûts politiques internes augmentent, les garanties de sécurité américaines expirent à l'issue de chaque cycle électoral. Voir Washington contraindre un allié dépendant à céder son territoire et sa souveraineté pour éviter une évacuation façon Kaboul fera réfléchir tous les gouvernements de la région Asie-Pacifique évaluant la crédibilité de la dissuasion américaine contre la Chine.

De Saigon en 1975 à Kaboul en 2021 en passant par Kiev en 2026, le scénario est le même. Les États-Unis vont trop loin, découvrent les limites de leur capacité d'action, sous-traitent les combats à des mandataires, puis négocient des solutions de retrait dont l'objectif premier est d'éviter que l'histoire se souvienne d'un président en exercice comme de celui qui a "perdu" la guerre.

Les Pentagon Papers ont notamment révélé, après novembre 1965, que la guerre du Vietnam n'a été poursuivie que pour gérer l'image de la défaite. Il leur aura fallu sept ans. Le plan de paix en 28 points, la date butoir de Thanksgiving, la restriction des flux du renseignement sont les équivalents en 2025. Comme toujours, le coût humain sera payé au prix fort par les populations sur le terrain, dont le pays a été choisi pour théâtre des affrontements.

L'histoire ne se répète certes pas, mais rime avec une précision effrayante. Le cas de Kiev en est la dernière illustration.

Traduit par  Spirit of Free Speech

 ssofidelis.substack.com