par Alfredo Jalife-Rahme
L'affrontement entre la Chine et le Japon, que les déclarations de Sanae Takaichi ont suscité, porte certes sur l'indépendance de la province chinoise de Taïwan, mais aussi - et peut-être surtout - sur l'indépendance du Japon en matière de semi-conducteurs : toute l'industrie japonaise s'arrêterait en cas d'annexion de la petite île de Taïwan par la Chine populaire. Cela expliquerait pourquoi les industriels japonais soutiennent une impérialiste nostalgique de l'ère Shōwa.

L'opinion des commentateurs indiens, réputés pour leur virulence, est très révélatrice compte tenu des relations étroites qu'entretient actuellement l'Inde avec le Japon. Les deux pays appartiennent, de manière certes informelle, au QUAD (États-Unis/Australie/Inde/Japon), ce qui déplaît fortement à Trump, d'autant plus que les relations entre Beijing et Delhi se sont améliorées. Sans oublier que l'ancienne diplomate japonaise Kyoko Somekawa est l'épouse de l'influent ministre indien des Affaires étrangères, Jaishankar.
Abhishek Mishra, du Times of India, analyse les complexités du conflit à haut risque qui oppose le Japon à la Chine au sujet de Taïwan [1].
Selon Mishra, « la déclaration de la Première ministre japonaise Sanae Takaichi, connue pour son franc-parler, sur la « légitime défense collective avec Taïwan » a déclenché une vive réaction de Pékin, notamment des sanctions économiques et des protestations diplomatiques ». Une telle position irréfléchie fragilise l'ambiguïté stratégique du Japon et place Tokyo dans le collimateur de la Chine.
M. Mishra décrit Mme. Sanae Takaichi, qui n'était en fonction que depuis un mois au moment de sa déclaration incendiaire au Parlement, comme « une figure nationaliste qui, pour ses propos tenus sans excuses, suscite à la fois des éloges au niveau national et une condamnation internationale ».
Selon Abhishek Mishra, « cette crise pourrait facilement dégénérer » par le déploiement de missiles : le Japon poursuit son projet de stationner des missiles sol-air sur l'île de Yonaguni, à seulement 110 kilomètres de Taïwan. Le ministre de la Défense japonais Shinjiro Koizumi, a déclaré que cela « réduisait le risque d'attaque », tandis que Pékin a qualifié cette décision de « provocation ».
Manœuvres militaires : des navires de guerre et des drones chinois ont été repérés près des îles Senkaku, revendiquées par les deux pays.
Diplomatie internationale : la Chine a porté le différend devant l'ONU, cherchant à rallier les pays du Sud pour condamner le Japon, non seulement pour sa position sur Taïwan, mais aussi pour dissuader toute prise de position : « Ils veulent que les autres comprennent le prix à payer si l'on prend parti pour Taïwan. »
D'après le magazine critique The Economist, aucun des deux camps « n'envisage de reculer », Xi Jinping s'efforçant d'atteindre son objectif de préparation militaire face à Taïwan, fixé à 2027. Selon Mishra, du Times of India, « Mme Takaichi est une nouvelle dirigeante bénéficiant d'un fort soutien populaire et n'ayant aucun intérêt à paraître faible durant ses premiers mois au pouvoir. »
Pour Mishra, « le différend Takaichi-Xi n'est pas qu'un simple querelle diplomatique ». Il s'agit d'un affrontement de visions nationalistes, alimenté par la politique intérieure, les cicatrices de l'histoire et les ambitions géopolitiques.
J'ai été frappé par la déclaration du colonel Douglas MacGregor, concernant la situation explosive entourant le conflit entre Tokyo et Pékin : « La Chine craint davantage le Japon que les États-Unis. »
Son affirmation ne fait aucun doute s'il fait référence à la période d'occupation japonaise de Taïwan, de Shanghai, de Nankin et de Wuhan (dans l'est de la Chine continentale), avant la capitulation du Japon à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
La situation géostratégique et politique d'avant 1945 est bien différente de celle d'aujourd'hui, où la Chine possède 500 bombes nucléaires et où la « protection » du Japon proviendrait du vaste arsenal nucléaire américain.
Se pourrait-il que la préoccupation du Japon porte davantage sur son approvisionnement en puces électroniques en provenance de Taïwan, où se trouve TSMC, le plus grand fabricant de semi-conducteurs au monde ?
Aujourd'hui, TSMC représente environ 55 % du marché mondial des semi-conducteurs [2], alors que sa capitalisation boursière équivaut à 99 % du PIB taïwanais [3] !
Environ 60 % des importations japonaises de semi-conducteurs proviennent de Taïwan, dont une part importante de TSMC. En fait, Tokyo, ancien leader mondial de la production de semi-conducteurs dans les années 1980, est désormais devancée par Taïwan, la Corée du Sud et les États-Unis [4].
On pourrait arguer que le véritable enjeu du différend ne réside pas dans le territoire taïwanais (36 000 km²), mais dans la vente des actifs de TSMC. Cette vente pourrait bien être négociée par Trump lors de ses prétendues discussions du « G2 » avec la Chine [5], les États-Unis cherchant, contrairement au Japon, à atteindre l'autosuffisance en matière de semi-conducteurs.
Traduction
Maria Poumier
Source
La Jornada (Mexique)
Le plus important quotidien en langue espagnole au monde.
[1] « Sanae Taikaichi vs Xi Jinping », Abhishek Mishra, Times of India, November 26, 2025.
[2] « The Chipmaker Powering Your World : Why TSMC Matters in 2025 », Vic Danh, Medium, January 11, 2025.
[3] « How much does TSMC's investment contribute to Taiwan ? Alex Lee of QIC : The Flywheel Effect has far-reaching impact », QIC, March 27, 2025.
[4] « Japan's Strategic Comeback in the Global Chip Race », AMRO's 2024 Annual Consultation Report on Japan, ASEAN+3 Macroeconomic Research Office (AMRO).
[5] « La visita de Trump a Xi : ¿Comienza el rediseño del mapa geoestratégico ? », Alfredo Jalife, YouTube, 28 de noviembre de 2025.