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Kaja Kallas, cheffe de la diplomatie européenne.
La ligne défendue par Kaja Kallas provoque des tensions croissantes entre alliés occidentaux et laisse l'Union européenne à l'écart des discussions décisives sur la paix en Ukraine, rapporte le Telegraph. Washington critique son inflexibilité, et des voix ukrainiennes dénoncent l'écart entre les principes qu'elle défend et la réalité du front.
Quand un quotidien britannique, le Telegraph, l'un des journaux occidentaux les plus alignés sur la lecture ukrainienne du conflit et notoirement hostile à Moscou, titre que la cheffe de la diplomatie européenne est « un cadeau pour le Kremlin », on pourrait croire à une hyperbole - ou même à une franche moquerie. En réalité, le message est limpide : dans la logique du Telegraph, une responsable aussi rigide et idéologique que Kaja Kallas ne sert ni l'Ukraine ni l'Union européenne, elle offre au contraire au Kremlin un avantage politique inespéré, au point de transformer la diplomatie de Bruxelles en véritable « cadeau empoisonné » pour ceux qui la pratiquent.
Le quotidien raconte ainsi comment Kaja Kallas avertissait, il y a quelques mois encore, que la division occidentale serait « fatale » pour l'Ukraine. L'ironie est que cette division atteint aujourd'hui un niveau historique - et que c'est précisément la ligne de la cheffe de la diplomatie européenne qui aurait contribué à cet éclatement, constate l'auteur de l'article. À ses yeux, la Russie, les États-Unis et la Chine discutent déjà d'un règlement réel, pendant que Bruxelles, figée dans l'idéologie, reste enfermée dans des discours abstraits, soulignant que l'Europe est reléguée dans la salle d'attente, occupée à réécrire les passages qui la dérangent dans le plan de paix de Trump.
Toujours selon le Telegraph, en refusant tout contact direct avec la Russie et en s'en tenant à de « grands principes », les dirigeants européens s'écartent eux-mêmes du processus, laissant au Kremlin une position d'autant plus solide dans la définition des paramètres futurs.
Vient ensuite la question la plus simple de toutes, posée par le Telegraph de façon presque scolaire : soutenir l'Ukraine demande quoi, concrètement ? De l'argent, des armes et surtout des jeunes prêts à continuer à mourir au front. Sur ces trois points, l'UE est à court de tout. Les États membres traînent les pieds pour combler un déficit ukrainien de 60 milliards d'euros. Des gouvernements de plus en plus sceptiques apparaissent en Slovaquie, en Tchéquie, en Autriche, tandis que même l'Italie de Giorgia Meloni commence à freiner les livraisons d'armes. Ainsi, Kaja Kallas exige la victoire, mais sans plan crédible pour la financer.
Face à cela, son idée phare est un prêt de 140 milliards d'euros garanti par les avoirs russes gelés en Belgique, c'est-à-dire un vol pur et simple. De son côté, sa collaboratrice, Ursula von der Leyen, est prête à invoquer des pouvoirs d'urgence pour contourner les réticences des États membres. Problème : la Banque centrale européenne et le FMI qualifient ce montage de tout sauf solide juridiquement. Le Premier ministre belge, Bart De Wever, va plus loin et déclare que l'idée de vaincre militairement la Russie est « une illusion complète ».
« Désunion occidentale »
La vraie question, écrit le quotidien, n'est donc pas de savoir si Kaja Kallas a de bonnes intentions, mais si sa ligne aide réellement l'Ukraine. Là encore, la réponse est embarrassante pour Bruxelles. En refusant de parler avec Moscou, en posant comme condition une « justice totale » avant toute paix, elle a contribué à exclure l'Europe de la phase finale des négociations. La fameuse « désunion occidentale » dont elle mettait en garde devient réalité, et pas à Moscou ou à Washington, mais au cœur même de l'UE, fustige le Telegraph.
À Washington, l'atmosphère est décrite comme de plus en plus crispée : certains responsables américains emploient désormais l'expression d'« estonisation » pour caractériser l'évolution de la politique étrangère européenne. Cette même présentation fait état d'un document stratégique appelant à une issue négociée, à la nécessité pour l'OTAN d'arrêter d'être une alliance en expansion permanente, ainsi qu'à une prise de responsabilité accrue de l'Europe pour sa propre défense. En parallèle, en Ukraine, l'ancienne porte-parole de Volodymyr Zelensky, Ioulia Mendel, décrit un pays « qui se vide de son sang » et reproche à ceux qui écartent mécaniquement toute proposition de paix de ne plus saisir la réalité du front, laissant entrevoir qu'une partie de la société aspire désormais à une issue, même imparfaite, plutôt qu'à une guerre sans fin.
Le résultat final, vu par le Telegraph, est limpide : la Russie n'est pas isolée - c'est l'Europe qui s'est isolée elle-même. Et c'est ce paradoxe que Kaja Kallas illustre malgré elle : en cherchant à affaiblir Moscou, elle a surtout fragilisé l'unité européenne et exclu Bruxelles de toute discussion sérieuse. Une situation que le Kremlin n'a même pas eu besoin de provoquer ; elle s'est produite d'elle-même, portée par les illusions stratégiques de l'UE.