
par Christelle Néant
Près de 500 enfants de la région de Dnipropetrovsk, en Ukraine, évacués en Turquie début 2022 avec l'aide du millionnaire Rouslan Chostak, ont vécu dans des conditions déplorables, subissant des pressions et des violences physiques et psychologiques, et plusieurs jeunes filles mineures ont même subi des abus sexuels de la part de membres du personnel de l'hôtel où elles logeaient. Retour sur un scandale qui révèle à quel point les autorités ukrainiennes n'ont aucune considération pour les enfants dont elles ont la charge.
Février 2022, lorsque la Russie déclenche l'opération militaire spéciale pour protéger les républiques populaires de Donetsk et de Lougansk de l'attaque ukrainienne, les missiles et les drones frappent de nombreuses villes d'Ukraine. Certaines régions, comme celle de Dnipropetrovsk, n'attendent pas la réaction des autorités de Kiev, qui mettra près de deux mois à être formalisée, et décident d'organiser elles-mêmes l'évacuation des enfants qui sont à la charge de l'État (orphelins ou retirés à leurs parents), avec l'aide des oligarques locaux. Dans le cas de Dnipropetrovsk, c'est le millionnaire Rouslan Chostak qui sera choisi par les autorités locales pour évacuer plusieurs milliers d'enfants à la charge de l'État qui se trouvent dans la région. C'est ainsi que naît le projet de fondation «Une enfance sans guerre», qui sera impliquée dans cette affaire.
Une affaire qui a été révélée par l'équipe de journalistes ukrainiens du site Slidstvo (un site spécialisé dans le journalisme d'investigation 100% pro-ukrainien donc qu'on peut difficilement qualifier d'outil de propagande du Kremlin).
En février 2022, 510 enfants de plusieurs orphelinats sont ainsi envoyés en Turquie depuis la région de Dnipropetrovsk, et sont logés dans des hôtels, le tout financé par Rouslan Chostak. Pour ces enfants, qui n'ont pour beaucoup jamais vu la mer, c'est un conte de fées. Mais très vite, Rouslan Chostak comprend que la guerre durera bien plus que quelques mois et que ses fonds propres n'y suffiront pas. Alors il crée une fondation pour récolter des fonds auprès d'autres hommes d'affaires, et millionnaires, afin de partager l'addition.
Car dès le départ, alors que ces enfants sont pourtant à la charge de l'État ukrainien, ce dernier ne met pas un centime pour organiser leur évacuation et leur logement. Rien que ce fait constitue un scandale en soi, et prouve que les autorités ukrainiennes n'en ont strictement rien à faire des enfants, contrairement à ce qu'elles essaient de faire croire en accusant constamment la Russie d'avoir enlevé/déporté des dizaines de milliers d'enfants pour faire pleurer dans les chaumières occidentales (des accusations complètement fausses et délirantes, prouvées comme telles lorsque Kiev a dû fournir la liste des enfants concernés, qui ne contenait que 339 noms, dont plus d'une centaine ont été identifiés comme se trouvant en Europe avec leurs parents, et pas du tout en Russie).
Si au début les enfants sont bien logés, dans des hôtels confortables, bien nourris, et reçoivent même une aide psychologique et médicale fournie par la Croix-Rouge et les autorités turques, très vite la situation se dégrade. Les enfants changent d'hôtel plusieurs fois, et finissent par s'entasser dans des chambres dont la qualité diminue à chaque déménagement. La qualité des repas fournie aux enfants diminue aussi au fil du temps, avec beaucoup de boulgour et de bas morceaux de viande au lieu de repas équilibrés. Les enfants y trouvent même parfois des insectes, alors que les éducateurs ukrainiens qui les encadrent continuent de manger de la nourriture de bonne qualité avec de la bonne viande. Ces éducateurs empêchent aussi petit à petit la Croix-Rouge et les autorités sociales turques d'accéder aux enfants, causant l'arrêt de l'aide psychologique et médicale qui leur était fournie.
La raison de cette mise à distance des travailleurs sociaux turcs et des humanitaires devient vite claire lorsqu'on regarde la suite de l'histoire. En effet, pour récolter des fonds afin de payer leur logement et leur nourriture, la fondation créée par Rouslan Chostak publie régulièrement sur les réseaux sociaux des appels aux dons avec des photos et vidéos des enfants. Or, certains enfants n'ont pas envie d'être filmés, de chanter ou de danser pour la caméra. Alors les éducateurs punissent ceux qui refusent de le faire, en privant les enfants de nourriture, voire en confisquant leur téléphone ou leur tablette.
Or, il n'y a pas d'école organisée par les éducateurs qui accompagnent les enfants, à part une salle pouvant recevoir 25 enfants. Or plus de 200 doivent normalement aller à l'école. Résultat, les enfants étudient à distance via internet (quand il marche), grâce aux tablettes qui leur ont été fournies. En privant les enfants récalcitrants de tablette, les éducateurs les ont purement et simplement empêché d'étudier correctement !
Et non seulement les enfants ne peuvent pas étudier correctement, mais en prime les éducateurs forcent les filles et les enfants les plus âgés à nettoyer les chambres, mais aussi à prendre soin des plus jeunes d'entre eux et des enfants handicapés (y compris les nettoyer, les baigner, et laver leur linge, y compris s'il était souillé de vomi ou de déjections).
Certains enfants dénoncent même des violences physiques, infligées par les éducateurs, principalement contre ceux qui souffraient de handicap. La plupart des plaintes concernaient l'éducateur en chef Oleksandr Titov, qui gérait les relations de l'orphelinat avec la fondation de Rouslan Chostak.
Mais l'enfer pour les enfants ne s'arrête pas là. Plusieurs des jeunes filles mineures de l'orphelinat sont approchées par des employés turcs de l'hôtel où elles logent. Des hommes, qui en leur offrant un peu de rab de nourriture, parviennent à amadouer les filles. Et finissent par avoir des relations sexuelles avec plusieurs filles mineures. Deux d'entre elles tombent enceintes. Les éducateurs non seulement avaient vu le manège de ces hommes avec ces filles mineures, mais ils les ont même laissé faire, voire aidés, en les autorisant à dormir dans la chambre des filles ou à se promener avec elles en rue « en amoureux ». Lorsque leur grossesse est découverte les éducateurs obligent les deux filles à signer un papier disant qu'elles étaient consentantes lorsqu'elles ont eu des relations avec ces hommes adultes, alors même que selon la loi elles ne peuvent pas être considérées comme consentantes, puisque étant mineures !!!
La réalité des sentiments de ces hommes est très vite apparue lorsqu'une fois leur grossesse découverte, elles ont été renvoyées en Ukraine pour y accoucher. L'un des hommes est devenu violent envers la jeune fille avec qui il couchait quand il a appris qu'elle allait partir. L'autre est parti vivre avec sa « copine » en Ukraine, où il a commencé à la frapper et à la tromper. La jeune femme est partie se réfugier dans un foyer social. Les deux filles ont accouché seules, abandonnées par les autorités, sans même la présence d'une éducatrice ou d'une assistante sociale. L'une d'elle a même accusé l'éducateur en chef d'avoir fait pression sur elle pour qu'elle avorte.
Encore plus ignoble, le pasteur Maxime Fetissov, qui dirige le foyer social où s'est réfugiée une des jeunes filles, a manipulé cette dernière pour qu'elle lui confie temporairement la garde de son bébé, avant de tenter de la priver en douce de ses droits parentaux. La jeune fille a découvert la procédure de retrait de ses droits parentaux lancée au mois d'août grâce aux journalistes ukrainiens qui menaient l'enquête sur ce scandale. Elle n'avait jamais reçu de convocation. Sans l'aide des journalistes, elle aurait raté la dernière audience qui a eu lieu le 17 novembre de cette année, et perdu définitivement la garde de sa fille !
Au vu de ce que je sais concernant le trafic d'enfants en Ukraine, il y a de quoi être inquiet de voir les agissements de ce pasteur. Car une fois les droits parentaux retirés à la mère, et le père étant en Turquie, n'importe quoi aurait pu advenir de cet enfant (vendu à des réseaux pédocriminels ou pour le trafic d'organes), personne ne s'en serait soucié, surtout pas l'État ukrainien qui a déjà abandonné la pauvre mère de ce bébé. Surtout quand, en creusant un peu sur la personnalité de ce pasteur, je découvre qu'il est un missionnaire d'une organisation d'églises évangéliques américaines, « Fire International », dont l'un des leaders, Michael Brown, a été accusé, par une femme du mouvement, d'attouchements sexuels.
Les manquements du personnel d'encadrement de l'orphelinat, ainsi que les violences physiques et psychologiques qu'ont subies les enfants, ont été enregistrés dans un rapport de 11 pages, écrit suite à une visite de monitoring en Turquie d'une délégation comprenant des fonctionnaires de Dnipropetrovsk, de l'administration centrale ukrainienne, des représentants du Bureau de l'ombudsman turc et de l'UNICEF, en mars 2024. Sept mois plus tard, le projet a été fermé et les enfants renvoyés chez eux, ou en famille d'accueil. Les plus âgés (entre 16 à 18 ans) ont été envoyés vivre seuls chez des proches ou en foyer, et ont été placés dans des établissements d'enseignement technique.
Les poursuites pénales engagées en Ukraine suite à ce scandale ont été classées sans suite un an plus tard, et seul l'éducateur en chef, Oleksandr Titov, a été rétrogradé à son poste antérieur de professeur de sport.
L'une des choses les plus choquantes concernant cette histoire est la réponse de la directrice de l'orphelinat face au scandale de la grossesse d'une des jeunes filles dont elle avait la charge. En effet, Svitlana Lebid, ne considère pas que ses éducateurs ont fauté (alors que plusieurs enfants ont témoigné que les éducateurs étaient au courant et voyaient bien ce qui se passait entre ces filles mineures et ces employés turcs de l'hôtel). Pour elle tout est de la faute de la jeune fille.
« Il n'y a eu aucun moment où mes enseignants auraient enfreint ou n'auraient pas rempli leurs obligations. Eh bien, les circonstances ne dépendent pas de nous. Cette jeune fille vient d'une famille asociale. Eh bien, ce mode de vie est inscrit est déjà dans chaque cellule, dans le sang de ces enfants», a-t-elle répondu face aux critiques concernant le travail de son équipe.
Des propos dignes du pire de la pensée eugéniste, et qui en disent long sur la prise en charge de ces enfants par les institutions ukrainiennes.
En presque 10 ans de travail dans le Donbass, j'ai mené ou filmé de nombreuses missions humanitaires à destination des orphelinats de la région. Et jamais au grand jamais je n'ai entendu une directrice tenir des propos aussi ignobles envers l'un des enfants dont elle avait la charge. Même les plus difficiles et récalcitrants étaient pris en charge avec pédagogie, amour et patience, pour les aider à corriger leur comportement.
En tout cas, ce scandale révèle clairement la façon dont les autorités de Kiev s'occupent des enfants dont elles ont la charge, et montre ce que valent les lamentations des officiels ukrainiens lorsqu'ils parlent des enfants prétendument enlevés par la Russie. En réalité ils n'ont rien à faire des enfants du Donbass, ou d'ailleurs, et seule l'image médiatique que donnent leurs larmes de crocodile compte.
source : International Reporters
