Brigitte Challande, 15 décembre 2025.- Compte rendu de l'atelier dans le camp des amis à l'ouest de Deil al Balah, 14/12.
« Les camps de déplacement ne sont pas de simples lieux d'hébergement temporaire, mais des espaces remplis de défis. La femme, souvent responsable de la famille seule en raison de la perte du mari ou de son absence forcée, se retrouve face à la lourde tâche d'assurer les besoins essentiels de ses enfants, de gérer les affaires du quotidien dans un contexte de surpopulation, d'absence de vie privée, de dégradation des services et de difficulté d'accès au soutien psychologique et social.
Cet environnement éprouvant impose un fardeau supplémentaire aux femmes, qui sont censées assumer simultanément de multiples rôles : mère nourricière, soutien économique, infirmière, accompagnatrice psychologique des enfants, et garante de la stabilité familiale malgré les effondrements qui se répètent autour d'elles. Ce tableau complexe fait du soutien psychologique une nécessité urgente plutôt qu'une simple activité, et confirme que l'investissement dans la santé mentale des femmes est un investissement dans la survie de la famille et la résilience de toute la société.
C'est dans cette optique que s'est tenu l'atelier organisé par l'équipe de l'UJFP dans le camp des Amis à l'ouest de Deir al-Balah. La séance a débuté par un moment chaleureux d'échanges et de présentation entre l'équipe et les participantes. L'équipe a présenté le travail de l'UJFP et ses programmes. Elle a également expliqué que ces ateliers ont été créés afin de répondre au besoin du public de disposer d'espaces sûrs pour s'exprimer et se libérer, ainsi que d'outils pratiques permettant aux femmes de gérer leurs pressions quotidiennes, d'organiser leurs émotions et de développer des mécanismes personnels de résilience psychologique face aux défis persistants.
La première session, intitulée Autosoins pour les femmes déplacées dans les camps d'hébergement a mis l'accent sur l'importance de reconnaître que l'autosoin n'est pas un luxe, mais une nécessité vitale permettant à la femme de continuer à assumer son rôle sans s'épuiser physiquement ou psychologiquement. Au cours de l'explication du contenu de l'atelier, l'équipe a présenté une vision claire du concept d'autosoins, et de la manière dont la femme peut réorganiser ses priorités pour se placer, ne serait-ce que quelques minutes par jour, au centre de ses préoccupations.
L'équipe a ensuite évoqué les énormes défis qui affectent la santé mentale de la femme; des pressions quotidiennes dans les camps, l'absence d'espaces privés, l'anxiété constante et la peur permanente pour l'avenir des enfants.
L'atelier a ensuite abordé des méthodes pratiques pour redéfinir l'autosoin à travers des gestes simples que la femme peut appliquer malgré les conditions du déplacement, tels que consacrer une minute au silence, boire un verre d'eau lentement en pleine conscience, ou pratiquer un court exercice de respiration permettant de rééquilibrer le système nerveux. Ces exemples illustrent que l'autosoins ne dépend ni d'un lieu particulier ni d'outils spécifiques, mais d'une volonté, d'une conscience et d'un court moment réservé à soi pour retrouver un peu d'équilibre. Ce volet a permis aux participantes de comprendre qu'elles méritent le repos, et que s'accorder quelques instants de détente ne se fait pas au détriment de leurs responsabilités, mais constitue une nécessité pour continuer d'avancer.
L'équipe a ensuite présenté la technique de l'ancrage 5-4-3-2-1, l'un des outils psychologiques les plus efficaces pour gérer rapidement les crises d'anxiété et de stress. Les animatrices ont expliqué comment utiliser cette technique en entraînant les participantes à identifier cinq choses qu'elles peuvent voir, quatre qu'elles peuvent toucher, trois qu'elles peuvent entendre, deux qu'elles peuvent sentir, et une qu'elles peuvent goûter. Cette méthode aide à ramener l'esprit dans le moment présent et à interrompre le flot de pensées perturbantes qui accompagne souvent les crises de panique. Les participantes ont montré un grand intérêt pour cette technique, facile à appliquer dans le camp pour retrouver le calme et réguler le stress.
Dans le cadre de l'atelier, un temps a été consacré à l'explication du concept de la coupe vide, une métaphore psychologique exprimant l'importance de remplir son réservoir intérieur d'énergie, de calme et de satisfaction avant de pouvoir aider les autres. Les participantes ont été encouragées à pratiquer l'écriture ou le dessin pendant deux minutes chaque jour afin d'exprimer leurs émotions et de libérer les tensions accumulées. Ce type de décharge symbolique contribue à réduire le stress et à réorganiser les pensées, surtout dans un environnement où prédominent l'inquiétude constante et l'absence d'intimité.
Puis l'équipe a mis en œuvre une activité de soutien psychologique fondée sur des exercices de respiration profonde et de relaxation progressive. Les participantes se sont assises en cercle et ont commencé avec la formatrice un exercice de respiration lente visant à apaiser le corps et rééquilibrer le cœur et l'esprit. Certaines ont confié que c'était la première fois depuis des mois qu'elles respiraient de manière consciente et apaisée, loin du stress permanent et du bruit incessant qui règnent dans le camp.
Par la suite, un espace a été ouvert aux femmes pour exprimer leur réalité difficile. Beaucoup ont raconté leur expérience du déplacement, les nuits d'angoisse, et le sentiment écrasant de responsabilité envers leurs enfants. Ces récits bouleversants révélaient des voix de femmes qui tentent de résister malgré la douleur.
Pour réintroduire une touche de joie dans la séance, l'équipe a animé une activité récréative: un jeu interactif basé sur des mouvements simples et des rires collectifs.
L'équipe de l'UJFP a souligné que les ateliers de soutien psychologique sont une nécessité humanitaire pour garantir que les femmes restent fortes et capables de faire face aux rigueurs du déplacement. Une femme bénéficiant d'un soutien psychologique régulier est plus à même de prendre soin de sa famille, de prendre des décisions éclairées, et de réduire l'impact du stress sur ses enfants, contribuant ainsi à renforcer la résilience de toute la communauté. Investir dans la santé mentale des femmes, c'est investir dans l'avenir, la paix familiale et la capacité de la société à se reconstruire. »
Photos et vidéos ICI.
La mémoire de la guerre qui ne s'éteint jamais
Les équipes de l'UJFP font un fabuleux travail : un défi journalier.
« Chaque fois que nous tentons d'imaginer ce que le peuple de Gaza a vécu durant la guerre, une scène se forme dans la mémoire, plus vaste que ce que l'œil peut supporter et plus lourde que ce que l'âme peut contenir. La guerre qui a frappé cette étroite bande côtière n'a pas été une simple confrontation militaire passagère, mais un ouragan qui a arraché les vies, les maisons et les souvenirs, laissant derrière lui des blessures ouvertes qui saignent encore aujourd'hui. Ce n'est pas une guerre qui se résume au bruit des explosions ni aux images aériennes de destruction ; c'est une longue narration de souffrances quotidiennes vécues par les habitants dans chaque recoin de Gaza, où la mort avance sous plusieurs formes et où la vie est guettée par d'innombrables menaces.
Aujourd'hui, même si le bruit des avions s'est relativement calmé, la guerre n'a pas cessé de tuer ; seules ses méthodes et ses outils ont changé. La faim, semblable à un projectile à longue portée, frappe les ventres des petits et des grands sans pitié. Le froid achève les forces des enfants, comme s'il s'agissait d'un chapitre supplémentaire du châtiment collectif. Le vent transporte l'odeur de la douleur à chaque souffle, et lorsque la pluie tombe, les tentes se transforment en mares de boue, comme si le ciel lui-même n'était plus capable de contenir autant de souffrance. À chaque dépression atmosphérique, les cris des enfants retentissent dans leurs tentes ; les voix de lamentation se mêlent aux pleurs des mères, tandis que les pères tentent de colmater les ouvertures avec des mains tremblantes, sachant parfaitement que la tente est trop fragile pour résister, mais qu'elle reste leur seul refuge possible.
Les tentes - ce mot devenu une caractéristique générale de la bande de Gaza - ne sont plus de simples abris temporaires, mais des témoins racontant l'histoire de maisons brisées qui furent jadis remplies de vie. Des milliers de familles qui possédaient un toit les protégeant de la chaleur de l'été et du froid de l'hiver vivent aujourd'hui sous des tissus usés qui ne résistent ni au vent, ni à la pluie sans offrir un véritable sentiment de sécurité. Chaque nuit pluvieuse, l'histoire s'étend et la tragédie s'intensifie, tandis que les appels à l'aide résonnent depuis les camps, franchissant les limites de la patience, comme une tentative désespérée d'attraper un fil de survie.
Nous, équipes humanitaires, pénétrons chaque jour dans ces camps, portant avec nous ce que nous pouvons d'aide, tentant de répondre le plus rapidement possible, et œuvrant de toutes nos forces pour distribuer les secours à ceux qui en ont besoin. Mais la catastrophe dépasse la capacité des institutions locales et internationales à l'absorber ; elle est trop vaste pour être contenue par des mesures d'urgence ou des interventions limitées. La guerre a laissé derrière elle un niveau de destruction qui va au-delà des infrastructures, au-delà du manque de nourriture et de médicaments. C'est une crise humanitaire globale qui nécessite une vision mondiale et une volonté internationale capable de penser au-delà de l'aide immédiate.
Et bien que les habitants de Gaza aient besoin de tentes, de nourriture et d'assistance médicale, leurs besoins véritables dépassent largement ces nécessités. Ils ont besoin de reconstruire ce qui a été détruit en eux avant même de reconstruire ce qui a été détruit autour d'eux. Ils ont besoin d'un soutien psychologique qui leur permette de se relever après toutes les épreuves traversées : la perte d'enfants, l'effondrement des maisons sur leurs occupants, les scènes de mort éparpillées dans les rues, et les souvenirs que les années ne pourront effacer facilement. La douleur psychologique est devenue un élément quotidien de la vie à Gaza, et s'en relever exige des efforts dépassant la capacité de toute institution isolée.
Les enfants, en particulier, portent en eux des traumatismes profonds qui les accompagneront longtemps s'ils ne sont pas traités. Ces enfants, nés sous le blocus et ayant grandi au son des avions, dormant à la belle étoile, ont besoin aujourd'hui de bien plus qu'un morceau de pain ou une couverture. Ils ont besoin de retrouver la capacité de ressentir la sécurité. Que signifie l'enfance lorsque la peur devient la première langue qu'ils apprennent ? Que signifie l'avenir lorsqu'ils grandissent en redoutant chaque bruit fort, chaque mouvement soudain ?
Les équipes humanitaires et de secours, qui tentent autant que possible d'alléger la souffrance, ont elles-mêmes besoin d'un soutien psychologique et social. Le travailleur humanitaire, qui entre de tente en tente, faisant face à des visages épuisés et des corps transis, porte avec lui le poids de l'expérience et rentre chaque nuit chargé d'images difficiles à supporter. Beaucoup travaillent sous une pression qui dépasse leurs capacités et ont besoin de programmes de soutien pour continuer à accomplir leur devoir. La guerre n'a pas seulement détruit les bâtiments ; elle a brisé les âmes et ébranlé tout ce qui était stable.
Malgré les blessures qui refusent de guérir, les équipes de l'UJFP se tiennent en première ligne de l'action humanitaire, mobilisant toutes leurs ressources pour garantir les droits fondamentaux de vie aux personnes épuisées par la tragédie. Du sud de Gaza à sa zone centrale, les équipes sillonnent quotidiennement les camps, distribuant des repas chauds qui représentent une bouffée d'espoir pour des milliers de familles désormais incapables de cuisiner ou de se procurer de quoi manger. À Khan Younès, notamment dans les camps des agriculteurs déplacés de force depuis leurs terres à l'est de la ville vers la zone d'Al-Mawasi à l'ouest, les équipes déploient des efforts extraordinaires pour atteindre ces familles dans des conditions extrêmement difficiles. Les convois poursuivent leur route vers Deir al-Balah, où les camps surpeuplés abritent des milliers de déplacés qui attendent leur repas matinal comme une fenêtre d'espoir dans une journée saturée de défis.
La responsabilité qui pèse sur l'UJFP est immense, les besoins étant colossaux, ce qui rend indispensable la mobilisation d'un financement continu. Entre chaque distribution, les travailleurs savent que ce qu'ils offrent n'est pas seulement de la nourriture, mais un message de solidarité apportant un peu de réconfort à des cœurs épuisés. Et malgré la rareté des ressources, les équipes restent fidèles à leur engagement, poursuivant leur travail sans relâche pour atténuer l'impact de la faim qui frappe durement. Chaque repas servi devient ainsi un acte de résistance humaine face à la famine et à la privation. Grâce à ces efforts, le fil de la vie continue de circuler dans les camps, quelles que soient la sévérité des crises et l'ampleur des défis.
Parce que la guerre ne se contente pas de menacer la vie quotidienne mais frappe aussi l'avenir des générations, l'UJFP s'est également engagée à préserver l'éducation, l'un des derniers piliers capables de résister à l'effondrement. À Khan Younès et à l'ouest de Nuseirat, les équipes supervisent la gestion de centres éducatifs devenus des refuges pour des centaines d'élèves dont les écoles ont été interrompues ou détruites. Chaque jour, les équipes organisent les classes, fournissent les matériaux essentiels et veillent au déroulement du processus éducatif avec les moyens les plus simples. Malgré l'exiguïté des espaces et la surpopulation, enseignants et bénévoles s'efforcent de créer un environnement où l'enfant peut encore sentir qu'il a droit au savoir et à un minimum de stabilité. Ce travail continu nécessite des ressources importantes, car l'UJFP doit assurer la couverture financière du fonctionnement et des fournitures éducatives. Les équipes font face à des défis psychologiques et humains majeurs, traitant quotidiennement avec des enfants et des élèves profondément marqués par les traumatismes de la guerre et la perte du sentiment de sécurité. Pourtant, l'éducation devient ici un acte de résistance en soi : résistance à l'oubli, à la dislocation sociale, à l'effacement des rêves. Les équipes travaillent sans interruption pour garantir la continuité des cours, conscientes que chaque journée d'apprentissage est un pas vers la reconstruction de ce qui a été détruit. Au milieu de la destruction environnante, la voix de la lecture et de l'écriture qui résonne dans ces centres demeure la preuve que la vie peut encore se relever malgré tout.
La guerre à Gaza n'a pas seulement détruit des vies individuelles, elle a frappé les racines de la société et brisé la mémoire du lieu. Elle a anéanti les maisons qui portaient des années de joie et de peine, et avec elles les petits rêves qui grandissaient dans chaque foyer. Elle a emporté les détails qui composaient les traits de la vie quotidienne : l'odeur du pain le matin, les voix des élèves dans les rues, les rires des enfants dans les ruelles, et les images des moments heureux que plus personne ne peut recréer. Tout est devenu ruines, et mémoire qui lutte pour survivre à l'oubli.
Malgré l'immense destruction, les habitants de Gaza s'accrochent à un mince fil d'espoir, un fil qui continue de scintiller malgré tout. Mais cet espoir a besoin d'un environnement propice pour grandir : d'une véritable accalmie, d'un cessez-le-feu global, d'une vision qui garantisse que la tragédie ne se répétera pas, et d'une intervention internationale qui traite les causes profondes de la crise et non uniquement ses manifestations. Les solutions temporaires ne sont plus suffisantes, et les caisses d'aide, aussi nombreuses soient-elles, ne reconstruiront pas ce qui a été brisé à l'intérieur de l'être humain.
Mon seul souhait, comme celui de toute personne dotée d'un cœur, est que la guerre cesse dans toute la région, et que ce scénario ne se répète plus jamais. Mais hélas, la réalité est extrêmement complexe, et le paysage politique ne laisse pas présager une fin proche de la tragédie. La guerre n'est pas terminée ; son feu brûle encore sous différentes formes, et les habitants de Gaza continuent de payer chaque jour un prix insupportable.
Pourtant, malgré tout cela, l'histoire de Gaza n'est pas encore écrite. Le peuple se tient toujours debout malgré ses blessures, réparant ce qui peut l'être et recréant la vie à partir des cendres. Dans chaque tente, il y a une histoire ; dans chaque enfant, un rêve ; dans chaque mère, une patience ; dans chaque vieillard, une mémoire qui refuse de disparaître. Et au milieu de toute cette obscurité, une seule voix humaine peut encore faire la différence, et la voix du monde, s'il le veut, peut arrêter cette hémorragie sans fin.
Gaza aujourd'hui n'est pas un simple titre dans un bulletin d'information ; c'est une blessure ouverte dans la conscience humaine. Ce que vivent ses habitants n'est pas un événement passager, mais une réalité devant laquelle le monde doit s'arrêter avec sérieux et responsabilité. Car une guerre peut commencer par une balle, mais elle ne se termine que lorsque la dernière page de souffrance est tournée, et que la terre est de nouveau capable de porter une vie sans ombres de bombardement ni traces de peur. »
Photos : distribution de repas aux familles du camp d'Al-Hilal / aux familles du camp des agriculteurs / du programme éducatif.
Retrouvez l'ensemble des témoignages d'Abu Amir et Marsel :
*Abu Amir Mutasem Eleïwa est coordinateur des Projets paysans depuis 2016 au sud de la bande de Gaza et correspondant de l'Union Juive Française pour la Paix. *Marsel Alledawi est responsable du Centre Ibn Sina du nord de la bande de Gaza, centre qui se consacre au suivi éducatif et psychologique de l'enfance. Tous les deux sont soutenus par l'UJFP en France.










