
par Cassandre G
Anna Novikova : déjà trente jours de prison pour aide humanitaire au Donbass
Jour 30 - Lettre d'une insomniaque
Je suis lasse. Tellement lasse de devoir répéter les mêmes abominations, les mêmes faits, les mêmes déceptions.
Comme si l'humanité, dans un mouvement perpétuel - irrésistiblement oppressant - s'était donné pour mission de rejouer, encore et toujours, la même partition. Plus cynique à chaque tour, plus inventive dans l'indécence.
Elle change les acteurs, déplace les enjeux, improvise un récit plus audacieux, plus redoutable. Mais sans même se fatiguer à renouveler le procédé narratif : le bien, le mal ; les bons, les méchants.
Et nous, on nous sert encore la même sornette : à l'aube, la DGSI aurait cueilli au pied du lit un nid d'espions russes.
Je revis l'affaire Assange. Les mêmes bascules fracassantes. Les mêmes espoirs. Les mêmes déceptions. Toujours ce compte à rebours infini qui vous remue l'âme, où l'arbitraire et l'incohérence de la répression nourrissent mes songes et égrènent mes nuits d'insomnie... une à une.
Espérant une libération, enfin.
J'aurais préféré un monde lisse, sans aspérités. Juste assez agité pour ranimer la joie, le bonheur - et éviter tant de douleurs. Un monde où les idéaux de la République - Liberté, Égalité, Fraternité - ne seraient pas des mots amochés et évacués, mais une réalité vivante, surprenante.
Pourtant, chaque matin, je me réveille avec cette certitude irritante et glaçante : nous sommes en train de basculer. Pas d'un coup. Pas avec fracas. Par petites touches, par des silences qui s'étirent, par des habitudes qui s'installent.
Les crises nous épuisent.
Le réveil en sursaut et rappel des faits
Le 17 novembre 2025, à 6 heures du matin, une vingtaine d'hommes en cagoule ont enfoncé la porte d'Anna Novikova et de ses camarades de SOS Donbass.
Pas de flagrant délit. Pas la moindre preuve publique. Rien - sinon le secret-défense, cette ombre qui avale tout.
Après 96 heures de garde à vue, quatre personnes ont été mises en examen ; trois d'entre elles ont été inculpées pour «complot avec une puissance étrangère», «collecte d'informations pour le compte d'un État étranger» et «association de malfaiteurs». Anna est à Fleury-Mérogis (écrou n°494701, bâtiment Peupliers), Vincent Perfetti à Fresnes, et Vyacheslav Prudchenko dans une cellule dont on ignore encore le lieu exact. Le quatrième suspect, anonyme, est libre sous contrôle judiciaire.
Officiellement, ce sont les charges retenues contre eux. Concrètement, leur «crime» est d'avoir organisé, depuis 2022, des convois d'aide humanitaire vers le Donbass et, pour Vyacheslav, d'avoir collé sur l'Arc de Triomphe une affiche disant «La Russie n'est pas mon ennemie».
Aujourd'hui, 17 décembre 2025. Trente jours après leur arrestation, ni leurs familles ni leurs avocats n'ont reçu la moindre notification écrite des chefs d'accusation. Au dernier point connu, toujours rien. Le parquet se mure, le secret-défense avale les semaines.
Tout se passe comme si l'ordre venait du Château. Et personne ne bronche. Aucun politique. Aucun.
30 jours. Aucune question parlementaire. Aucune déclaration d'Amnesty International, de la Ligue des Droits de l'Homme, du Syndicat de la Magistrature. Le silence est total.
Pour l'instant, nous ne savons rien de ce que pense Anna, à l'isolement dans les oublis de la République, mais il est probable qu'elle se dise au fond de son tourment : «Je ne comprends pas. J'ai toujours agi au grand jour. C'est la vérité. J'ai voulu aider».
Selon un message récent de sa famille, Anna a pu recevoir la visite d'un aumônier orthodoxe, qui confirme qu'elle tient moralement. La visite consulaire reste bloquée du fait de sa double nationalité. Un appel à solidarité discrète circule, avec une cagnotte pour soutenir les proches.
Et aujourd'hui, 17 décembre, un mois jour pour jour, il est vraisemblable qu'une audience du juge des libertés pourrait prolonger la détention de quatre mois supplémentaires sans qu'aucun acte écrit n'ait jamais été notifié.
Une femme, une vie ordinaire
Anna Novikova n'est pas une espionne surgie d'un roman d'espionnage.
Elle n'est pas médiatisée comme Pavel Durov. Même l'arrestation du fondateur de Telegram, aussi controversée soit-elle, pouvait s'appuyer sur des arguments liés à la nature de sa plateforme. C'était une pression liberticide pour que son réseau social se soumette aux ordres de l'Élysée. Mais Anna ?
Elle a une maison, un mari, des enfants, un quotidien banal et tendre.
Depuis quatre ans, elle a convoyé ce dont on a besoin quand la guerre frappe les civils : lait, médicaments, couvertures, vêtements chauds, matériel médical, livres, peluches... tout ce qui permet à un enfant de survivre ou de sourire encore un peu.
Des gestes simples, concrets, visibles, filmés, partagés.
Rien qui évoque la discrétion d'un agent secret. Tout qui témoigne d'une obstination humanitaire.
Vyacheslav Prudchenko, ukraino-français, n'a collé qu'une affiche pacifiste. Vincent Perfetti, soixante-trois ans, Corse, n'a fait que présider l'association. Trois vies ordinaires, broyées par un système pour avoir exprimé leurs élans de compassion.
Les membres et sympathisants de SOS Donbass, épouvantés par la situation au Donbass depuis 2014 et les bombardements et répressions de Kiev, ont fondé l'association en 2022 pour agir là où ils le pouvaient. Et voilà qu'on les punit pour ça.
Le silence médiatique, puis l'embrasement
Les grands médias ont relayé l'arrestation en un sursaut pour annoncer le démantèlement d'un nid d'espions, même pas à la une et perdu dans les commérages des faits divers, sans plus d'analyse et de réflexion. Ils s'alignent sur la brièveté laconique des autorités. Ont-ils peur ? Sont-ils persuadés que la DGSI défend la France ? Sont-ils craintifs ? Les autoriserait-on à exprimer leurs opinions ?
«Un réseau d'espions démantelé». Aucun ne pose la question : et si c'était une erreur ? Et si c'était pire qu'une erreur ?
Pour l'instant, nous sommes dans la phase froide. Celle où les médias reprennent les communiqués officiels sans les questionner. «On ne contredit pas la sécurité nationale». «L'AFP fait foi». «La DGSI ne ment pas».
Mais l'histoire nous enseigne que ces silences collusifs finissent toujours par se fissurer. L'affaire Tarnac en 2008 : au début, des terroristes. Puis, effondrement total du récit. Outreau : au début, des monstres. Puis, mea culpa national. Ben Barka : silence pendant des décennies, instruction toujours ouverte soixante ans après.
Les médias ne se réveillent jamais seuls. Ils se réveillent quand un élément extérieur les y oblige : une erreur de la DGSI qui fuite, un document classifié qui apparaît, un article dans un média étranger, une manifestation, un retournement politique au sommet. Alors tout le monde fait semblant d'avoir «découvert» l'affaire.
Et à ce moment-là, l'inflammabilité devient explosion. Plus le silence initial aura été compact, plus la déflagration sera violente quand la fiction initiale se fissurera.
Pour l'instant, nous sommes au jour 30. Dans l'omerta. Dans la reprise sans nuance. Dans l'alignement médiatique. C'est la phase où tout le monde dort.
Mais les craquements finiront par apparaître. Ils apparaissent toujours.
L'opacité comme méthode
Trente jours sans acte d'accusation. Quelques centaines de vidéos de convois humanitaires effacées en 48 heures. Des pétitions de soutien volatilisées. Des comptes bancaires gelés depuis 2023. Et toujours cette question : où sont les preuves ?
«Il existe en France un usage barbare de punir les coupables, lors même qu'ils ne le sont pas encore déclarés».
Voltaire écrivait ces mots sous l'Ancien Régime. Trois siècles plus tard, dans une République qui se targue d'être le pays des droits de l'homme, cette phrase résonne avec une actualité glaçante. L'usage barbare n'a pas disparu. Il s'est modernisé, troquant la plume du monarque contre le sceau de la «sécurité nationale».
Le profil impossible
Des «espions» qui se filment en HD distribuant du lait infantile pendant quatre ans ?
Décidément, le FSB recrute chez les humoristes de talent.
Anna Novikova donnait des interviews publiques. Elle apparaissait dans des médias alternatifs. Elle organisait des manifestations. Elle publiait ses convois sur YouTube.
Quel service de renseignement au monde formerait des agents qui se comportent ainsi ? Les vrais espions opèrent dans l'ombre. Ils cultivent la discrétion. Ils évitent d'afficher leurs opinions.
Le profil d'Anna est incompatible avec celui d'une espionne professionnelle. À moins d'imaginer un FSB devenu subitement incompétent, l'incohérence saute aux yeux.
L'imbécillité de ces accusations est redoutable : toutes leurs activités étaient filmées, postées sur YouTube, parfaitement publiques et traçables. Mais peu importe les faits quand il faut fabriquer un «nid d'espions» sur commande.
Le climat russophobe : Une chasse aux dissidents organisée
Depuis 2022, un climat russophobe délirant s'est abattu sur l'Europe. Médias russes interdits, artistes boycottés, culture censurée. Toute voix qui parle de diplomatie ou d'humanité devient suspecte.
Et tout récemment, ce lundi 15 décembre 2025, l'Union européenne franchit un nouveau palier : comme s'il était dorénavant entendu qu'il fallait débusquer quiconque ose exprimer une opinion qui, par sa force d'analyse et de clarté, heurterait les fantasmagories troublantes de nos élites bellicistes.
Désormais, oser contester suffira pour être frappé de sanctions, voire remisé aux oubliettes. Elle sanctionne ainsi Jacques Baud, ancien colonel suisse du renseignement et auteur d'analyses rigoureuses et objectives sur le conflit, et Xavier Moreau, ex-officier français et analyste géopolitique, pour avoir osé contester le récit officiel. Gel des avoirs, interdiction de séjour : voilà le prix payé par des experts militaires pour leurs opinions dissidentes. Si des voix aussi crédibles et sourcées sont muselées, que reste-t-il pour des humanitaires comme Anna Novikova ?
Au sommet, on a installé une bande de cavaliers de l'apocalypse qui hâtent le feu au grand galop, imprégnés d'une idéologie maladive, irrationnelle, haineuse et totalement hors-sol, déconnectés des faits et des peuples. Ils ne cessent de disjoncter dans leurs déclarations, attisant la haine, la peur, la mise à mort symbolique de l'autre, modelant le monde à coups de fantasmes apocalyptiques pendant que les peuples, épuisés, réclament la paix.
Emmanuel Macron répète que «nous sommes en guerre» et qu'il faudra peut-être envoyer des troupes, tout en affirmant que «la Russie ne doit pas gagner» (déclarations en mars et novembre 2025).
Friedrich Merz insiste sur le fait que «l'Europe doit se préparer à une confrontation directe avec la Russie» (déclarations en novembre 2025).
Keir Starmer déclare que «la Russie représente la plus grande menace pour la sécurité britannique depuis la Guerre froide» et qu'il faut «armer l'Ukraine sans limite» (juin et novembre 2025).
Ursula von der Leyen martèle que «la Russie doit être vaincue sur le champ de bataille» (déclarations réitérées en 2025).
Kaja Kallas qualifie la Russie de «menace existentielle» et affirme qu'«il n'y a pas de place pour la négociation» (novembre 2025).
C'est un cauchemar éveillé. Ces gens-là sont aux commandes.
Et dans ce délire collectif, Anna Novikova, Vyacheslav Prudchenko et Vincent Perfetti, qui envoyaient de l'aide humanitaire aux civils du Donbass ou osaient placarder un message de paix, sont devenus les ennemis parfaits : des citoyens ordinaires qui refusaient de haïr sur commande.
L'hypothèse de l'échange : quand on fabrique des espions pour la diplomatie
Et si Anna Novikova n'était qu'un pion dans un jeu diplomatique ?
En octobre 2024, Laurent Vinatier, un chercheur français, a été condamné en Russie à trois ans de prison pour ne pas s'être enregistré comme «agent étranger». En février 2025, son appel a été rejeté. Puis, en août 2025, il a été re-poursuivi pour espionnage, avec une peine potentielle de vingt ans.
Et voici où le calendrier devient révélateur : neuf jours avant la prolongation de l'enquête de Vinatier le 26 novembre 2025, Anna et ses camarades étaient arrêtés le 17 novembre au matin.
Coïncidence troublante ? Pas vraiment. Regardons l'histoire récente : le 1er août 2024, la Russie et l'Occident ont organisé le plus grand échange de prisonniers depuis la fin de la Guerre froide. Une opération rondement menée, secrètement négociée pendant des mois. Chaque État a fabriqué sa légende, construit ses récits, préparé ses justifications. Les prisonniers échangés étaient présentés comme des espions dangereux d'un côté, des victimes politiques de l'autre. Personne n'a su ce qui s'était réellement passé. Les arcanes diplomatiques ont fait leur œuvre dans l'ombre.
Et nous voilà à nouveau dans ce théâtre cynique. Anna, mère de famille sans casier judiciaire, serait-elle la monnaie d'échange idéale pour récupérer Vinatier ?
Un jour, Macron sortira la carte : «J'ai ramené un Français en échange d'une dangereuse espionne». L'opinion applaudira. Le tour est joué.
Le problème ? Anna n'est pas une espionne. Vyacheslav n'est pas un agent. Vincent n'est pas un traître. Ils sont des citoyens qui avaient des opinions dissidentes et pratiquaient l'aide humanitaire.
Mais on leur imposera une légende qui ne leur appartient pas. Une identité fabriquée pour raison d'État. Une fiction nécessaire à l'échange diplomatique.
C'est le mécanisme implacable de ces transactions secrètes : chaque camp entretient sa version, personne ne connaît la vérité, et les individus broyés dans cette mécanique perdent leur identité réelle pour devenir des personnages dans une pièce géopolitique qu'ils n'ont jamais choisie.
Anna risque de devenir «l'espionne russe» pour toujours, même si elle est innocente. Vinatier restera «l'espion français» pour Moscou. Les vérités individuelles s'effacent devant les nécessités diplomatiques.
Si cette hypothèse se confirme, l'affaire Novikova ne sera pas une affaire d'espionnage, mais une prise d'otage diplomatique déguisée en procédure judiciaire.
Le vide juridique des échanges de prisonniers
La loi ne régit pas les échanges de prisonniers politiques. Ces processus sont menés en secret, décidés par les seuls gouvernements, hors de tout cadre juridique et de tout contrôle démocratique.
Anna n'a même pas été jugée. Pourtant, rien n'empêche l'État de l'échanger. Ni Vincent, ni Vyacheslav.
L'absence de débat démocratique
Aucun référendum, aucun vote populaire n'a validé l'engagement français dans ce conflit. Pourtant, selon les sondages, 60 à 70% des Européens souhaitent un cessez-le-feu immédiat, même au prix de concessions territoriales.
Posons la question qui dérange : si les citoyens n'ont pas été consultés, comment peut-on criminaliser ceux qui s'y opposent ?
Qualifier d'«atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation» l'envoi d'aide humanitaire à des populations civiles du Donbass ou le collage d'une affiche pacifiste revient à imposer une ligne politique comme vérité d'État et criminaliser la dissidence.
Les précédents sous la Ve République
L'affaire Ben Barka (1965). Enlèvement devant la brasserie Lipp, corps jamais retrouvé, raison d'État invoquée pour étouffer l'enquête. Soixante ans après, l'instruction est toujours en cours.
Si elle est innocente, qui sera responsable ?
L'État paiera peut-être 30 000 à 50 000 € d'indemnisation. Mais aucun magistrat, aucun directeur de la DGSI, aucun ministre ne sera tenu personnellement responsable. L'impunité est structurelle.
Peut-on savoir si l'ordre vient de l'Élysée ?
Non. Secret défense, aucune trace écrite, raison d'État. Comme pour Ben Barka.
L'effet glaçant sur les libertés
Le message est clair : aider le Donbass = prison ; pacifisme = espionnage ; dissidence = danger.
Coller une affiche = prison. Envoyer des peluches = prison.
Si c'est possible pour une mère de famille qui convoyait de l'aide humanitaire et deux hommes qui osaient parler de paix, c'est possible pour n'importe qui.
Si ça passe pour eux, demain ce sera nous.
Nous vivons une époque où distribuer de l'aide humanitaire aux populations devient un crime d'État, où la paix ne se déclare qu'avec plus de guerre et est une trahison, et où la démocratie s'efface sous les pas lourds des hommes en cagoules.
Anna Novikova n'est pas une espionne. Ni Vincent Perfetti, ni Vyacheslav Prudchenko. Ils sont notre miroir : ce que nous acceptons aujourd'hui, nous le subirons demain.
Cassandre G - Hiver 2025 17 décembre - encore une nuit sans sommeil
Concernant l'Affaire Anna Novikova et SOS Donbass
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