19/12/2025 ssofidelis.substack.com  6min #299455

Le club des 300 milliards : Dans les coulisses de l'information dite « libre »

Par  Yoann, le 19 décembre 2025

Derrière le mirage d'un quatrième pouvoir vigoureux se dessine une cartographie plus prosaïque : celle des comptes en banque. L'information en France, prétendu pilier démocratique, est devenue une chasse gardée. Une poignée de fortunes colossales, issues de l'industrie, de la finance ou du luxe, tient les rênes de la quasi-totalité de la presse dite "générale". Cette mainmise, méticuleusement documentée, n'a rien d'un hasard structurel. C'est une emprise délibérée, un levier actionné pour servir des intérêts qui dépassent, et de loin, le simple souci d'informer les citoyens. Sous prétexte de lutte contre la désinformation et de protection des mineurs, l'Union européenne et Emmanuel Macron défendent cette mainmise sur les médias contre le cinquième pouvoir (Internet en tant que reflet de l'opinion publique).

Cartographie d'une capture

L'état des lieux est accablant. Les travaux de veille, comme ceux du  Monde diplomatique, de l' Observatoire du Journalisme et d' Acrimed, révèlent depuis des années une tendance lourde : la concentration. La dernière mise à jour, fin 2025, ne fait qu'entériner une évolution inexorable. La diversité des supports - papier, onde, numérique - offre un paravent commode à une unité inquiétante des capitaux. Les médias qui modèlent l'opinion quotidienne appartiennent à des empires dont le cœur de métier n'a souvent aucun rapport avec le journalisme. La liberté de la presse, dans ce contexte, se réduit à la liberté d'entreprise : le droit pour quelques-uns d'acheter le mégaphone qui diffusera leur version du monde.

Le bottin mondain des propriétaires de l'info

Voici un aperçu des principaux propriétaires, classés par leur influence et leur fortune. Ces milliardaires, souvent issus de secteurs comme le luxe, les télécoms ou la logistique, utilisent les médias comme un levier d'influence politique et économique. Leurs empires s'étendent bien au-delà de l'information, reliant médias à des intérêts industriels qui profitent de politiques favorables (dérégulation, subventions, marchés publics).

Bernard Arnault (fortune estimée à plus de 200 milliards d'euros, via LVMH) : Le patron du luxe français consolide son emprise sur l'information générale. Il contrôle 100 % du Groupe Les Echos-Le Parisien, incluant Les Echos (quotidien économique), Le Parisien, Paris-Match, Investir, et Radio Classique. En 2025, il renforce sa présence, ajoutant une influence médiatique à son arsenal industriel, favorisant une couverture bienveillante des élites économiques.

Vincent Bolloré (via Vivendi et Bolloré Group) : Avec une fortune avoisinant les 10 milliards d'euros, Bolloré domine l'audiovisuel conservateur. Il détient 100 % de Canal+ Group (Canal+, C8, CStar, CNews), Europe 2, RFM, et une partie de Prisma Media (Voici, Gala, Capital). En 2025, plutôt que de nouvelles acquisitions, il se concentre sur une restructuration légale de son empire pour assurer un contrôle pérenne, souvent accusé de promouvoir des vues ultraconservatrices et anti-écologistes, selon les uns, pro-sionistes, selon les autres.

Patrick Drahi (via Altice) : Milliardaire des télécoms (environ 8 milliards d'euros), Drahi possède 100 % de NextRadioTV (BFM TV, RMC, RMC Découverte) et de Libération, ainsi que L'Express (via SFR Presse). Ses médias servent à défendre ses intérêts dans les télécoms et la dette.

Xavier Niel (via NJJ Holding) : Fondateur de Free, avec une fortune de 10 milliards d'euros, Niel cocontrôle Le Monde (47 %), L'Obs, Télérama, HuffPost France, et Courrier International. Son influence oriente les contenus vers une vision libérale de l'innovation technologique.

Famille Dassault (via Groupe Dassault) : Héritiers de l'empire aéronautique (fortune de 20 milliards d'euros), ils détiennent 100 % du Groupe Figaro (Le Figaro, Figaro Magazine, Madame Figaro), aligné sur des positions conservatrices et pro-industrie de défense.

Rodolphe Saadé (via CMA CGM) : Milliardaire de la logistique maritime (fortune estimée à 10 milliards d'euros), il contrôle La Provence, Corse Matin, La Tribune, et a récemment acquis Brut (média en ligne viral) en 2025, élargissant son influence vers les formats numériques courts et engageants.

Pierre-Édouard Stérin : Nouveau venu dans les médias d'opinion, avec une approche progressive (fortune issue de Smartbox, environ 1 milliard d'euros). En 2025, il avance par étapes, investissant dans des titres alignés sur des vues conservatrices ou catholiques.

Autres acteurs notables : La famille Mohn (Bertelsmann) contrôle RTL Group (M6, RTL, Fun Radio). François Pinault (Artémis) possède Le Point. La famille Baylet dirige La Dépêche du Midi. L'État, via France Télévisions et Radio France, représente une exception, mais souvent accusée de complaisance gouvernementale.

Ces propriétaires, dont les fortunes cumulées dépassent les 300 milliards d'euros, ne se contentent pas de posséder : ils dirigent. Des enquêtes montrent comment les lignes éditoriales s'alignent sur leurs intérêts - promotion du libre-échange, critique des mouvements sociaux, minimisation des scandales environnementaux.

Un État sous perfusion médiatique

Les conséquences de cette oligarchie sont palpables.  Emmanuel Macron lui doit sa prise de pouvoir. L'information, dévoyée, devient un outil de reproduction sociale et économique. Elle promeut un consensus autour du libéralisme économique, minimise les conflits d'intérêts, relègue les voix dissonantes à la marge. Les "débats" sont calibrés, les réformes (ce qui est synonyme de destruction, par exemple la "réforme" des retraites) sont présentées comme des évidences, les mouvements sociaux tournés en dérision (par exemple l'emploi de "la colère agricole" au lieu des revendications des agriculteurs). Face à cette hégémonie, les rares titres indépendants survivent dans une précarité assumée. Les  régulations anti-concentration restent lettre morte et France Télévisions , dont l'État est actionnaire, soupçonné de complaisance envers lobbys et partis, échoue à incarner une alternative crédible. Restaurer un pluralisme authentique exigerait une volonté politique absente et un réveil civique tout aussi absent. Le citoyen n'est plus qu'un spectateur de spectacles dont l'apparente diversité ne cache pas l'uniformité de contenu.

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