24/12/2025 investigaction.net  6min #299853

Noël au-delà des paillettes : le récit radical d'espoir et de résistance

Marc Vandepitte

Noël semble aujourd'hui se résumer aux paillettes, au stress des achats et aux obligations familiales. Mais derrière ce décor familier se cache une histoire qui en dit étonnamment long sur l'espoir et la résistance.

Un enfant né dans l'oppression

Le récit originel de Noël se déroule dans un recoin d'un puissant empire. Un peuple à la longue histoire y est piétiné par un occupant technologiquement supérieur.

Des soldats étrangers contrôlent les rues, tandis que les détenteurs locaux du pouvoir se plient à la volonté de l'occupant. Les révoltes de paysans et de personnes réduites en esclavage sont, à chaque fois, réprimées dans le sang.

Dans ce contexte, une jeune fille non mariée tombe enceinte. Ce n'est pas une source de honte ou de peur, mais une source d'espoir. Elle entonne même un vieux chant, le Magnificat, imprégné d'une attente radicale : les puissants tomberont de leur trône, les pauvres mangeront à leur faim et les riches repartiront les mains vides.

Le Magnificat résonne comme l'annonce d'un bouleversement social.

Pas de place à l'auberge

La jeune femme et son fiancé sont contraints par l'occupant de s'enregistrer pour un recensement. Une mesure nécessaire pour pouvoir lever des impôts sur la population de la manière la plus efficace possible.

Le couple entreprend un voyage pénible alors que l'accouchement approche. Dans les auberges, aucune place ne leur est faite. Ils se réfugient dans une étable, où leur enfant naît parmi les animaux. C'est une image familière, mais derrière le côté « mignon » de la carte de vœux se cache la dure réalité de la pauvreté, de la migration et du sans-abrisme.

Et puis vient la terreur. Le dirigeant local, effrayé par la moindre étincelle de résistance, fait assassiner tous les petits garçons du pays en dessous d'un certain âge. La jeune famille s'enfuit précipitamment vers un pays voisin - une histoire qui ressemble douloureusement au sort contemporain des réfugiés.

Coalition populaire

Ce n'est qu'après la mort du despote qu'ils reviennent. L'enfant grandit pour devenir charpentier, mais se révèle être l'organisateur d'un mouvement pour le changement social et économique.

Le groupe qu'il rassemble autour de lui est hétéroclite : des pêcheurs, d'anciennes travailleuses du sexe, des chômeurs, de petits fonctionnaires, des femmes et des hommes d'origines diverses. C'est une coalition populaire de personnes qui, trop souvent, restent invisibles.

Leur programme est clair : redressez les chemins tortueux, égalisez le pays. Apportez la bonne nouvelle aux pauvres, libérez les prisonniers, rendez la vue à ceux qu'on ne voit pas. Liberté pour les opprimés. Un agenda radical qui défie directement l'ordre établi.

Noël sans glaçage

Quiconque débarrasse l'histoire de Noël de son emballage sucré ne trouve pas un conte de fées, mais l'histoire de personnes en situation précaire, une réalité reconnaissable pour des millions de gens aujourd'hui. Des personnes qui connaissent leur propre histoire de lutte et qui s'accrochent à la possibilité du changement.

Marie, la jeune mère, ne doute pas un instant de cet avenir. Son chant n'est rien de moins que révolutionnaire. Elle dit ce que tant d'opprimés continuent de répéter : ce système n'est pas une fatalité. (Vous trouverez le chant complet au bas de l'article.)

Même dans les chants de Noël populaires, cette résistance résonne. O Holy Night (Cantique de Noël), écrit par le socialiste français Placide Cappeau et traduit par l'abolitionniste américain John Sullivan Dwight, porte un message politique explicite :

« Il brisera les chaînes, car l'esclave est notre frère ; et en son nom toute oppression cessera ». Pas vraiment anodin.

Les conservateurs aux États-Unis l'avaient bien compris. Pendant des années, le chant a été écarté des églises et des stations de radio dans le sud du pays. Même la musique pouvait y devenir une menace dès qu'elle parlait de solidarité et de libération.

Un Palestinien montre une figure du Christ qu'il a sculptée dans son atelier dans la ville biblique de Bethléem, en Cisjordanie occupée, le 18 décembre 2025 (AFP)

Communisme avant la lettre

Le 25 décembre 336, on a célébré pour la première fois officiellement la naissance d'un réfugié juif et prédicateur radical de la Palestine actuelle. Ironiquement, la date elle-même n'a été choisie que des siècles plus tard, probablement pour s'approprier les célébrations païennes de la fête du solstice.

Moins connu est le fait que les premiers disciples de Jésus vivaient en réalité une sorte de communisme avant la lettre. L'historien Roman Montero décrit comment ils mettaient leurs biens en commun et les distribuaient aux veuves, aux orphelins et à tous ceux qui étaient dans le besoin. Ce n'était pas une charité ponctuelle, mais une véritable forme organisée de sécurité sociale.

Et cela allait encore plus loin. Personne ne considérait plus ses biens comme une propriété strictement privée. Ils vivaient selon le principe : de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins. Une rupture radicale avec la logique du marché et le clientélisme, vers une communauté où les gens se soutiennent réellement les uns les autres.

Un message de Noël pour aujourd'hui

Noël ne doit donc pas forcément tourner autour de la course aux achats et de la convivialité obligatoire. Ce peut être un moment pour se rappeler que l'espoir a un jour été révolutionnaire, et qu'il peut encore l'être. L'histoire de cette jeune famille est une histoire de rêves, de fuite, de persévérance, de retour et d'organisation.

C'est une invitation à entrer dans la nouvelle année avec la même détermination : le sans-abrisme, la pauvreté, le racisme et l'injustice ne sont pas des lois de la nature. Ils peuvent disparaître, si nous les combattons.

Qui que tu sois : je te souhaite un Noël chaleureux et combatif. Et que la nouvelle année soit celle où nous continuerons à construire un monde dans lequel tout le monde compte et où personne n'est renvoyé les mains vides.

Magnificat

Mon cœur exulte en Dieu,
je ne peux me taire sur ce renversement total.
Il a porté son regard sur quelqu'un comme moi,
rendue invisible dans un monde de statut et de performance.
À partir de maintenant, les gens diront
que ce sont justement les petites gens qui comptent,
car le Puissant ne choisit pas les palais,
mais ceux qui sont au bas de l'échelle.
Son nom est synonyme de libération,
d'un amour qui refuse de se résigner
à la pauvreté, à la violence et à l'inégalité.
Il n'abandonne pas ceux qui comptent sur lui,
sans cesse il écrit l'histoire
avec des personnes que l'on avait rayées.
Il rabaisse l'arrogance
de ceux qui pensent que l'argent et le pouvoir les rendent intouchables.
Il crève les bulles
de leur propagande et de leur « il n'y a pas d'alternative ».
Il précipite les puissants du haut de leur trône,
leurs systèmes d'exploitation vacillent.
Ceux qu'on maintient petits, il les redresse,
les gens brisés retrouvent leur dignité.
Celui qui a faim, il le comble d'une véritable abondance :
droit au pain, au travail, aux soins et à l'avenir.
Celui qui s'est gavé de richesse
et ferme les yeux sur la souffrance des autres,
il le renvoie les mains vides.
Il n'oublie pas son peuple,
toutes les personnes qui luttent pour la justice et la paix.
Il reste fidèle à son rêve
d'un monde sans oppression,
sans racisme, sans exclus.
Il l'a promis il y a longtemps déjà
aux générations avant nous,
et cette promesse vaut encore aujourd'hui :
d'humain à humain,
de lutte à lutte,
jusqu'à ce que le droit et la miséricorde soient la norme
et que plus personne ne survive dans l'ombre.

(Traduction libre de Luc 1, 46-56)

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