Par Ahmed Bensaada
En octobre 1989, apparaissait dans le magazine militaire américain « Marine Corps Gazette », l'article intitulé : « The Changing Face of War: Into the Fourth Generation » 1. Cet article, signé par William S. Lind et ses coauteurs militaires, lança le concept de « Guerre de quatrième génération » (G4G).
On peut y lire :
« Les opérations psychologiques pourraient devenir l'arme opérationnelle et stratégique dominante, notamment par le biais de la manipulation médiatique et informationnelle. [...] Les adversaires de quatrième génération seront passés maîtres dans l'art de manipuler les médias afin d'influencer l'opinion publique nationale et internationale, au point que l'utilisation habile des opérations psychologiques pourrait parfois dissuader l'engagement de forces de combat. [...] L'information télévisée pourrait devenir une arme opérationnelle plus puissante que les divisions blindées ».
Ainsi, une G4G s'avère être une guerre utilisant l'information pour contrôler l'opinion, ce qui lui confère toutes les propriétés d'un produit arsenalisé.
Selon le politologue François-Bernard Huyghe, la G4G correspond à une « guerre de l'information » qui mobilise « des populations entières en un antagonisme gagnant tous les domaines politique, économique, social, culturel où l'objectif serait le système mental et organisationnel de l'adversaire »[2].
Le professeur David Colon, quant à lui, précise que « la guerre de l'information désigne le recours à l'information pour infliger un dommage à l'adversaire ou le soumettre à sa volonté » [3].
Avec l'avènement de l'Internet et l'essor impressionnant des médias sociaux, la G4G s'est dotée de moyens technologiques qui l'ont rendue beaucoup plus subtile, plus insidieuse mais très performante.
Ainsi, « le domaine de l'information, l'Internet en particulier, est aujourd'hui un terrain crucial à saisir pour exercer une influence économique et diplomatique dominante »[4].
Concernant les progrès technologiques, Waseem Ahmad Qureshi note que[5]:
« Les progrès technologiques actuels (accès plus facile aux blogs médiatiques et à Internet) rendent la propagande et la manipulation des faits plus facilement accessibles tout en élargissant les conséquences des opérations de guerre de l'information en provoquant des effets dommageables massifs ».
De son côté, le général de division Hisham Al-Halabi nous explique[6] :
Dans le cadre de la G4W, les objectifs offensifs ne sont pas uniquement militaires, mais s'étendent à la société. La stratégie principale consiste à attaquer un État ennemi de l'intérieur, en ciblant la société civile, comme alternative à la confrontation armée directe [...] épuiser systématiquement un État afin de provoquer un effondrement social interne, [...] semer la discorde au sein de la société [...].
Pour y parvenir, l'ennemi cible un pays en exploitant ses vulnérabilités ou « anfractuosités » sociétales d'ordre politique, religieux, ethnique, linguistique, historique, culturel, etc.
Même si près de 4 décennies nous séparent de l'article initial de W. S. Lind et al., leur analyse sur la télévision comme « arme opérationnelle » est toujours d'actualité. Elle peut s'étendre également aux autres médias classiques comme la radio qui, comme le petit écran, s'est infiltrée dans les médias sociaux et tire profit de la puissance des nouvelles technologies. Plus encore, la télévision et la radio ont une double vie : le direct et les reprises sur Internet. Ces médias classiques proposent même des « produits dérivés » sous forme de podcasts, capsules ou courts extraits d'émissions diffusés sur des plateformes spécialisées et sur les réseaux sociaux. Ces produits sont des « friandises cognitives » susceptibles de véhiculer de véritables « armes informationnelles » à l'efficacité redoutable. En effet, présentées avec un enrobage émotionnel, elles sont facilement « assimilables » par le truchement de nos différents biais cognitifs.
Les G4G ne touchent pas uniquement les pays du Sud Global. Bien au contraire, des pays occidentaux comme la France et les États-Unis récriminent très souvent les attaques informationnelles menées par la Russie[7] et la Chine[8] pour ne citer que ces deux pays.
Dans une récente déclaration prononcée le 16 décembre 2025 à Marseille, le président Macron se plaignait des réseaux sociaux « qui se moquent de la souveraineté des démocraties » (sic!) et qui « nous mettent en danger ». Et d'ajouter :
« [...] au niveau français et européen, quand on a des contenus manifestement faux qui mettent en danger la sécurité publique par des fausses informations qui déstabilisent, il faut pouvoir les faire retirer »[9].
Mais tout cela n'empêche pas Macron, la France et leurs médias, privés et publics, de mener, eux aussi, des G4G contre d'autres pays pour les déstabiliser.
Contre l'Algérie, par exemple. C'est ce que nous allons démontrer dans ce qui suit.
A- Méthodologie
Ce travail a été réalisé en utilisant un outil, développé par l'Institut national de l'audiovisuel français (INA) et alimenté par l'IA, qui permet de détecter des mots spécifiques à partir de la transcription du flux sonore d'un certain nombre de médias français (télévisions et radios).
Les médias analysés sont listés dans le tableau suivant.
Tableau 1 : Liste des chaînes de télévision et de radios analysées par l'outil de détection des mots de l'INA.
B- France 1830 - 2025 : bientôt deux siècles de guerres contre l'Algérie
La colonisation de l'Algérie par la France, qui a débuté en 1830, a été un continuum de massacres, de razzias, d'enfumades, de barbarie et de crimes de guerres. Cela est clairement résumé, clamé et revendiqué par le méprisable capitaine Lucien de Montagnac dans ses lettres (écrites le 31 mars 1842, le 15 mars 1843 et le 2 mai 1843) :
« Nous nous sommes établis au centre du pays [...] brûlant, tuant, saccageant tout. [...] Quelques tribus pourtant résistent encore, mais nous les traquons de tous côtés, pour leur prendre leurs femmes, leurs enfants, leurs bestiaux [...]»[10].
« Les femmes, les enfants accrochés dans les épaisses broussailles qu'ils sont obligés de traverse, se rendent à nous. On tue, on égorge; les cris des épouvantés, des mourants se mêlent au bruit des bestiaux[...][11] ».
« Vous me demandez, dans un paragraphe de votre lettre, ce que nous faisons des femmes que nous prenons. On en garde quelques-unes comme otages, les autres sont échangées contre des chevaux, et le reste est vendu à l'enchère comme bêtes de somme »[12].
« Voilà, mon brave ami, comment il faut faire la guerre aux arabes : tuer tous les hommes jusqu'à l'âge de quinze ans, prendre toutes les femmes et les enfants, en charger des bâtiments, les envoyer aux îles Marquises ou ailleurs ; en un mot en finir anéantir tout ce qui ne rampera pas à nos pieds comme des chiens »[13].
Ces phrases ne sont mentionnées qu'à titre illustratif. Nous ne citerons pas d'autres militaires génocidaires car cela n'est pas le sujet principal de notre étude et que la tâche demanderait probablement plusieurs volumes.
De 1830 à 1962, après 132 années de colonisation sanglante, raciste, opprimante, la colonisation de l'Algérie par la France aura fait des millions de morts dont 1,5 million juste durant la guerre d'indépendance (1954 - 1962).
Certes, après l'indépendance de l'Algérie, les relations entre les deux pays ont connu des hauts et des bas, mais le fond sournois, revanchard, rancunier et belliqueux de la France n'a jamais été trop loin. Il suffit de gratter le vernis diplomatique pour qu'il gicle à l'air libre.
Ainsi, dès 1963, la France a aidé le Maroc contre l'Algérie dans la « Guerre des sables »[14] et, durant la décennie noire, elle a soutenu, alimenté et amplifié le discours « quituquiste »[15]. Lors de la fumisterie nommée « printemps arabe », elle a poussé à la « printanisation » de l'Algérie et, plus tard, elle a surfé sur le Hirak « frelaté », jouant un rôle néfaste pour la stabilité et la cohésion sociale du pays. Cela avait mené d'ailleurs à l'interdiction de la chaîne France 24 en 2021 pour « l'hostilité manifeste et répétée contre notre pays [l'Algérie] et ses institutions, le non-respect des règles de la déontologie professionnelle, la désinformation et la manipulation ainsi qu'une agressivité avérée à l'égard de l'Algérie »[16].
Et cela a continué avec les affaires Amira Bouraoui[17], Kamel Daoud[18] et autres Boualem Sansal[19].
Ainsi, depuis le début du 19e siècle, en passant par la guerre d'indépendance de l'Algérie, jusqu'à la date d'aujourd'hui, la France aura utilisé tous les types de guerre contre l'Algérie : de la première à la quatrième génération!
Ahmed Bensaada
Notes :
[1] William S. Lind, Colonel Keith Nightengale (USA), Capitaine John F. Schmitt (USMC), Colonel Joseph W. Sutton (USA), et Lieutenant-Colonel Gary I. Wilson, « The Changing Face of War: Into the Fourth Generation », Marine Corps Gazette, Octobre 1989, Pages 22-26, d-n-i.net
[2] François-Bernard Huyghe, « Quatrième guerre mondiale ou guerre de quatrième génération », École de Guerre Économique, 12 janvier 2004, ege.fr
3 Anthony GUYON, « La guerre de l'information est déclarée », Nonfiction, 08 octobre 2023, nonfiction.fr
[4] Christina M. Knopf, Eric J. Ziegelmayer, « La guerre de quatrième génération et la stratégie des médias sociaux des forces armées américaines Encourager la conversation théorique », ASPJ-Afrique et Francophonie, 4e trimestre 2012, Pages 3-23, 4e%20trimestre-2012-f.pdf
[5] Wasseem Ahmad Qureshi, « Fourth- and Fifth-Generation Warfare: Technology and Perceptions », San Diego International Law Journal, 2019, digital.sandiego.edu
[6] Hisham Al-Halabi, « Fourth-generation Warfare and National Security: Understanding the Changing Shape of War », Al Jundi, 1er july 2021, aljundi.ae
[7] Yves Bourdillon, « Comment la Russie cible la France dans sa guerre de l'information », Les Echos, 24 février 2025, lesechos.fr
[8] David Colon et Pierre Verluise, « La guerre de l'information cherche à accélérer la décomposition des sociétés démocratiques. Entretien avec D. Colon », La Revue géopolitique, 14 janvier 2024, diploweb.com
[9] Déclaration de M. Emmanuel Macron, président de la République, sur les réseaux sociaux, Prononcé à Marseille le 16 décembre 2025, Vie Publique, vie-publique.fr
[10] Lucien de Montagnac, « Lettres d'un soldat : neuf années de campagnes en Afrique », Ed. Plon, 1885, p. 311, gallica.bnf.fr
[11] Ibid., p.214, gallica.bnf.fr
[12] Ibid., p.225, gallica.bnf.fr
[13] Ibid., p.299, gallica.bnf.fr
[14] Charlène Vince, « Guerre des Sables : entre le Maroc et l'Algérie en 1963 », L'Internaute, 1er juin 2023, linternaute.fr
[15] Lisa Romain, « La mise à l'épreuve du discours référentiel dans l'œuvre de Boualem Sansal », Thèse de doctorat, Université de Lille, 2018, 2018LIL3H040.pdf
[16] DIA, « Le ministère de la Communication décide de retirer l'accréditation à France 24 pour ʺdésinformationʺ », 13 juin 2021, dia-algerie.com
[17] TV5 Monde, « Algérie : l'affaire Amira Bouraoui ravive des tensions entre Paris et Alger », 10 février 2023, information.tv5monde.com
[18] Antoine Oury, « L'affaire Daoud "renvoie à l'histoire des rapports entre deux pays" (Gisèle Sapiro) », Actualitté, 10 décembre 2024, actualitte.com
[19] Alexandra Schwartzbrod, « Boualem Sansal, souffre-douleur d'un régime algérien dictatorial », Libération, 29 novembre 2024, liberation.fr
La source originale de cet article est ahmedbensaada.com
Copyright © Ahmed Bensaada, ahmedbensaada.com, 2025
Par Ahmed Bensaada

