31/12/2025 ssofidelis.substack.com  6min #300461

« Je ne trouve plus le sommeil », confie l'homme qui a enterré plus de 18 000 Palestiniens à Gaza en plein génocide

Par  Palestine Will Be Free, le 23 décembre 2025

À 65 ans, Yousef Abu Hatab exerce un métier dont personne ne voudrait. Témoin silencieux du génocide de son peuple depuis 26 mois, Abu Hatab est devenu l'un des hommes dont les mains fatiguées ont accompli le dernier acte de dignité pour 18 000 personnes, dont beaucoup ont été incinérées, éventrées, démembrées et décapitées par les Israéliens lors de leur campagne d'extermination en cours dans l'enclave assiégée. Soit une moyenne de 22 corps enterrés sous son regard chaque jour depuis le 7 octobre.

Beaucoup de ces corps, carbonisés ou déchiquetés au point d'être méconnaissables, n'avaient pas de nom.

"Nous avons enterré les corps dans des conditions difficiles, dans des fosses communes, des tombes individuelles et à l'intérieur des hôpitaux, sous une pression sans précédent et alors que le nombre de décès ne cessait d'augmenter",

a-t-il déclaré à l'agence Anadolu.

Selon les chiffres officiels du ministère de la Santé de Gaza, les Israéliens ont tué près de 71 000 Palestiniens, dont plus de 400 depuis le début du "cessez-le-feu" le 10 octobre. Abu Hatab a supervisé l'enterrement d'un quart des Palestiniens morts depuis le début du génocide.

"Pendant la guerre, j'ai veillé à l'inhumation de 17 000 à 18 000 corps palestiniens", a-t-il déclaré.

Le ministère de la Santé de Gaza ne décompte que les corps transportés dans les hôpitaux. La plupart des estimations suggèrent toutefois que le nombre réel de morts à Gaza s'élève à plusieurs centaines de milliers, les Israéliens ayant largué six fois plus de tonnes de bombes que sur Hiroshima. Gaza compte environ sept fois la population d'Hiroshima en 1945.

Du petit matin à la tombée du jour, et au-delà

Abu Hatab commence sa journée au cimetière de Khan Yunis à 6 heures du matin et ses journées se prolongent souvent après le coucher du soleil. Sans l'équipement nécessaire, que les Israéliens  continuent d'interdire malgré  le prétendu  "cessez-le-feu", Abu Hatab creuse les tombes à la main ou à l'aide d'outils rudimentaires plutôt qu'avec des machines.

De plus, les tombes sont souvent composées de matériaux récupérés dans les décombres des bombardements incessants des Israéliens. Dans un génocide où le rythme des tueries surpasse souvent celui des enterrements, ne laissant pas aux survivants le temps de pleurer leurs proches, les linceuls se sont fait rares.

"La situation n'est plus tenable", a déclaré Abu Hatab. "Il n'y a plus de matériaux pour construire des tombes, plus de linceuls et plus d'outils à cause du blocus israélien".

Pendant le "cessez-le-feu" négocié par les États-Unis, les Israéliens n'ont fait que ralentir le rythme des tueries, et Abu Hatab est toujours accaparé par sa macabre mission.

"Pendant l'agression, nous avons inhumé entre 50 et 100 corps palestiniens par jour", raconte-t-il. "Même si ce chiffre a désormais diminué, les corps continuent d'affluer au cimetière".

Les bombardements israéliens incessants ont contraint les survivants à enterrer leurs proches à la hâte, privant les morts de leur droit à une sépulture digne, dans des tombes clairement identifiées. Des centaines de personnes ont ainsi été enterrées dans des cimetières de fortune à l'intérieur de l'hôpital Al-Shifa, lors de la campagne barbare menée par Israël contre le plus grand établissement médical de Gaza, l'année dernière. Les autorités de Gaza n'ont pu  que récemment transférer les corps vers des cimetières plus dignes. Même un parc pour enfants du camp de réfugiés d'Al-Shati a dû  faire office de cimetière de fortune, faute d'espaces funéraires adéquats. Le Dr Hussam Abu Safiya  a enterré son fils dans une rue à proximité de l'hôpital Kamal Adwan, car il était trop risqué de transporter le corps en toute sécurité au milieu des bombardements incessants des Israéliens à la fin de l'année dernière.

"Gaza est un véritable enfer sur terre", a déclaré l'UNICEF dans un  communiqué publié en décembre, qualifiant l'ensemble de l'enclave de cimetière : "Gaza n'est plus qu'un cimetière pour les enfants et les familles".

L'année dernière, Abu Hatab a été appelé pour enterrer 550 corps dans le cimetière improvisé de l'hôpital Nasser de Khan Yunis.

Même les enterrements n'ont pas mis fin aux souffrances des Palestiniens. Les Israéliens ont détruit 40 des 60 cimetières de l'enclave et ont également volé les cadavres de plus de  2 000 Palestiniens ces deux dernières années dans plusieurs cimetières. Certains de ces corps, que les  Israéliens avaient entassé à l'arrière de camions Israéliens avaient entassés à l'arrière de camions sans les identifier, portaient des signes évidents d'intervention chirurgicale, et certains organes avaient été prélevés.

"Je ne trouve plus le sommeil"

En raison du manque de moyens et de personnel, Abu Hatab travaille seul. Il a pour tâche de laver, d'embaumer, d'enterrer et de recenser les corps, malgré son âge avancé. Il consigne les informations sur son téléphone portable.

Soulignant la pénurie de ressources qui touche même les morts à Gaza, il a déclaré :

"J'ai parfois enterré des corps en utilisant uniquement des sacs, sans pierres, tuiles ou ciment".

"L'un des moments les plus éprouvants pour Abu Hatab remonte à juillet, lorsqu'il a dû ouvrir des tombes familiales pour enterrer environ 1 270 corps, alors que les attaques israéliennes ne cessaient de faire des victimes", ajoute Anadolu. "Il se souvient également avoir enterré une femme muette et ses quatre enfants dans une tombe privée".

Les scènes de chiens errants dévorant des cadavres sans sépulture comptent parmi les épisodes les plus choquants de la barbarie israélienne à Gaza. Abu Hatab a dû

"inhumer les corps non identifiés et mutilés trouvés dans les rues et les ruelles, dont certains avaient été dévorés par des animaux".

Ces images sont un cauchemar perpétuel.

"Certaines nuits, je ne trouve plus le sommeil", dit-il. "Tous ces cris, ces funérailles et les bombardements ne cessent de me hanter".

Traduit par  Spirit of Free Speech

 ssofidelis.substack.com