13/06/2025 ssofidelis.substack.com  8min #280986

 L'Iran annonce une proposition nucléaire imminente aux États-Unis

La réactivation des sanctions menace la diplomatie nucléaire avec l'Iran

Par  Vali Kaleji, le 12 juin 2025

Ces deux dernières semaines, le Royaume-Uni, la France et l'Allemagne ont mené une action coordonnée devant le Conseil des gouverneurs de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) afin de dénoncer le non-respect des engagements de l'Iran et de préparer le terrain pour la  réactivation des sanctions de l'ONU en vertu des articles 36 et 37 du Plan d'action global conjoint ( JCPOA), également connu sous le nom d'accord sur le nucléaire iranien.

En réponse, l'envoyé iranien à l'ONU, Amir Saeid Iravani, a averti le 12 juin que l'activation du mécanisme contraindrait Téhéran à se retirer du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) en vertu de l'article X,  qualifiant la décision européenne de "juridiquement infondée et politiquement imprudente".

Le retour du "mécanisme de déclenchement"

Instauré pour la première fois dans le JCPOA en 2015 et approuvé par la résolution 2231 du Conseil de sécurité des Nations unies, le "mécanisme de réactivation des sanctions" - également connu sous le nom de "snapback sanctions" - permet à tout État membre du JCPOA de  réimposer unilatéralement les sanctions de l'ONU à l'Iran s'il estime que le pays est en violation de l'accord.

Cette disposition constitue une concession majeure à Washington, obtenue durant les négociations initiales, et vise à contourner le droit de veto du Conseil de sécurité et à garantir une réponse rapide à toute violation présumée de l'accord par l'Iran.

Le processus est simple : si un signataire du JCPOA dépose une plainte auprès de la Commission mixte de l'accord, le différend est examiné sous 15 jours. En l'absence de résolution, il est renvoyé devant le Conseil de sécurité de l'ONU. Si le Conseil n'adopte pas de résolution prolongeant la levée des sanctions, celles-ci sont automatiquement rétablies. Fait notable, aucun membre permanent ne peut opposer son veto au rétablissement des sanctions, mais seulement à la prolongation de leur suspension - une inversion majeure de la procédure habituelle du Conseil de sécurité.

Ce mécanisme, conçu pour être automatique, l'immunise en grande partie contre toute obstruction politique. S'il venait à être déclenché, toutes les sanctions du Conseil de sécurité levées dans le cadre du JCPOA seraient rétablies, y compris l'embargo sur les armes, le gel des avoirs, les interdictions de voyager et les restrictions sur les activités nucléaires et balistiques de l'Iran.

Alignement des E3 sur Washington et Tel-Aviv

Après le retrait unilatéral des États-Unis du JCPOA en 2018, durant le premier mandat présidentiel de Donald Trump, la tentative des États-Unis en  2020 d'invoquer le mécanisme de déclenchement a échoué. La plupart des membres du Conseil de sécurité, y compris la Russie et la Chine, ont rejeté l'argument des États-Unis selon lequel ils avaient qualité pour agir en vertu de l'accord.

Les États-Unis n'ont obtenu le  soutien que de la République dominicaine ; la Russie et la Chine se sont opposées à cette initiative, tandis que le trio européen et huit autres membres se sont abstenus. Pourtant, quatre ans plus tard, la situation a radicalement changé.

Les relations entre Téhéran et les signataires européens du JCPOA - France, Allemagne et Royaume-Uni, soit les E3 - se sont détériorées pour atteindre leur point le plus bas depuis la révolution islamique de 1979. Ces divisions vont bien au-delà du dossier nucléaire : les responsables européens citent le programme de missiles de l'Iran, son soutien aux groupes de l'Axe de la résistance, la détention de ressortissants ayant la double nationalité et son alliance avec la Russie dans la guerre en Ukraine parmi les griefs à l'encontre de Téhéran.

Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, a lancé un avertissement dans un  discours prononcé en avril devant le Conseil de sécurité : si la sécurité européenne est menacée, Paris "n'hésitera pas une seconde à reconduire toutes les sanctions levées il y a dix ans". Le représentant de l'Iran à l'ONU a réagi en qualifiant cette menace de violation du droit international par un pays qui ne respecte pas ses propres engagements.

Le représentant iranien à l'ONU, M. Iravani,  a rétorqué que les menaces de la France d'activer le mécanisme dit de "snapback" - alors qu'elle-même ne respecte pas ses obligations au titre du JCPOA - constituent une violation des principes fondamentaux du droit international.

Bien que la Russie et la Chine maintiennent que seules les parties au JCPOA peuvent invoquer l'option de réactivation, leur veto est sans effet dans ce cas. La conception même du mécanisme les prive de la possibilité de bloquer le rétablissement des sanctions, ce qui expose l'Iran aux initiatives de ses alliés nominaux.

La pression de l'AIEA s'intensifie alors que les stocks d'uranium augmentent

Les tensions ont été encore ravivées par un  rapport de l'AIEA publié le 31 mai, qui a révélé que les stocks d'uranium enrichi à 60 % de l'Iran ont bondi de près de 50 % depuis février. Avec 408,6 kilogrammes, ces stocks ne sont techniquement qu'à  un pas de la qualité requise pour la fabrication d'armes nucléaires.

L'Iran a vivement critiqué le rapport de l'AIEA, le jugeant politisé et fondé sur des faux fournis par l'État d'occupation israélien. Le ministère iranien des Affaires étrangères  a accusé l'agence d'utiliser

"des documents falsifiés fournis par le régime sioniste [Israël]" et a réitéré "ses accusations précédentes, partiales et sans fondement".

Le rapport a néanmoins servi de prétexte à une nouvelle condamnation. Le 12 juin, le Conseil des gouverneurs de l'AIEA  a adopté une résolution condamnant le "non-respect" par l'Iran de ses obligations, selon des sources diplomatiques citées par l'AFP. La motion, rédigée par les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France et l'Allemagne, a été adoptée par 19 voix contre 35.

Abdolreza Faraji Rad, ancien diplomate iranien, considère les accusations de l'AIEA comme  un signe avant-coureur probable du déclenchement du mécanisme de réactivation.

La menace de retrait de l'Iran du TNP refait surface

Téhéran a averti à plusieurs reprises qu'il pourrait se retirer du TNP si les sanctions sont rétablies. L'article X [10] du TNP  prévoit le "droit" de se retirer du traité. L'Iran a menacé à plusieurs reprises et ouvertement de prendre une telle décision. Le vice-ministre des Affaires étrangères Kazem Gharibabadi a  explicitement lié l'adhésion de l'Iran au TNP à l'attitude de l'Europe.

"Si l'Europe met en œuvre le snapback, nous répondrons par un retrait du TNP".

Une telle décision pourrait marquer un point de non-retour. Le retrait du TNP mettrait officiellement fin à l'engagement de l'Iran en faveur du développement nucléaire pacifique, ouvrirait la voie à la militarisation et fournirait à Tel-Aviv et à Washington un prétexte potentiel pour lancer des  frappes militaires préventives contre des installations iraniennes.

La diplomatie dans l'impasse

Alors que les négociations indirectes entre Téhéran et Washington se poursuivent, un rétablissement des sanctions au Conseil de sécurité de l'ONU pourrait faire capoter le processus. Si les États-Unis venaient à s'opposer à une telle mesure, l'alignement entre l'Europe et Israël s'en trouverait renforcé et les divergences avec Washington seraient exposées au grand jour.

Malgré la pression croissante, la diplomatie n'a pas encore échoué. Au cours des derniers mois, l'Iran et les trois pays européens ont tenu quatre cycles de négociations, les 29 novembre, 13 janvier, 24 février et, plus récemment, le  16 mai à Istanbul. Cette dernière réunion a coïncidé avec la reprise des pourparlers secrets entre les États-Unis et l'Iran, signe qu'il reste encore une marge de manœuvre diplomatique.

Néanmoins, la menace d'une crise ouverte plane toujours. Le rétablissement d'un mécanisme d'activation pourrait déclencher une réaction en chaîne irréversible : réimposition des sanctions, retrait du TNP, possible nucléarisation et confrontation militaire.

Pour éviter une telle issue, la diplomatie a besoin d'une dernière chance avant de fermer définitivement la porte.

Traduit par  Spirit of Free Speech

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