France-Soir
KHAMENEI.IR AFP
De l'Ukraine au Moyen-Orient, l'Europe peine à faire entendre sa voix face aux grandes puissances. Après avoir échoué à dissuader la Russie de Vladimir Poutine d'envahir l'Ukraine, la France et le Royaume-Uni affrontent aujourd'hui un autre casse-tête : l'influence de l'Iran. Paris annonce déposer plainte devant la Cour internationale de Justice contre l'Iran pour "violation de donner droit à la protection consulaire" tandis que Londres annonce l'arrestation de trois hommes pour des activités d'espionnage présumées. Mais, comme sur le dossier ukrainien, c'est souvent la Maison Blanche qui dicte la marche à suivre, reléguant les capitales européennes à un rôle secondaire, entre démarches diplomatiques sans réel effet sur les décisions iraniennes et suivisme contraint
Samedi 17 mai, la police de Londres a annoncé l'inculpation de trois ressortissants iraniens pour des activités d'espionnage présumées au profit de l'Iran depuis 2024. Ces trois hommes, arrêtés le 3 mai dernier, sont visés par des "accusations extrêmement graves, portées à l'issue d'une enquête très complexe et rapide", lit-on dans un communiqué.
Londres arrête des Iraniens, Paris saisit la CIJ
Agés de 39, 44 et 55 ans, les trois ressortissants sont accusés d'actes "susceptibles d'aider un service de renseignement étranger", entre l'été 2024 et début 2025, en vertu du National Security Act (Loi sur la sécurité nationale, NDLR) de 2023, qui permet à police d'arrêter des personnes soupçonnées d'être impliquées "dans une activité de menace émanant d'une puissance étrangère".
L'un d'entre eux, poursuit la police londonienne, a été mis en examen pour des actes de surveillance, de recherche ou de reconnaissance "dans l'intention de commettre des actes de violence grave contre une personne" sur le territoire britannique. Les deux autres sont inculpés pour avoir commis des actes similaires
Ces interpellations interviennent au moment où Londres renforce sa législation contre l'influence étrangère, plaçant l'Iran et ses services de renseignement au niveau d'alerte le plus élevé du Foreign Influence Registration Scheme (FIRS). Si le Royaume-Uni démontre sa volonté de contrer l'ingérence iranienne sur son sol, cet épisode révèle surtout la profondeur de la défiance qui s'est installée entre Londres et Téhéran. Un climat de confrontation, alimenté par des accusations réciproques d'espionnage et de complots, qui illustre l'incapacité des deux pays à instaurer un dialogue de confiance.
La veille du communiqué de la police londonienne, la France a fait part de sa décision de porter plainte devant la Cour internationale de Justice contre l'Iran pour "violation de donner droit à la protection consulaire", selon le ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot.
Paris accuse Téhéran de ne pas lui accorder une protection consulaire adéquate, en raison du traitement réservé à ses ressortissants détenus en Iran, notamment Cécile Kohler et Jacques Paris. Selon la France, ces deux citoyens, arrêtés en mai 2022 pour des accusations "d'espionnage", sont incarcérés dans des conditions qualifiées "d'indignes" et "assimilables à de la torture", et ils sont privés du droit à des visites consulaires régulières et effectives.
La France a de ce fait saisi la Cour internationale de Justice (CIJ) pour dénoncer une "diplomatie des otages", révélant une escalade majeure dans les tensions diplomatiques entre Paris et Téhéran, mais surtout l'impasse des démarches bilatérales pour obtenir la libération de ses ressortissants. "Est-ce que ça peut faire avancer les choses ? On ne peut pas s'empêcher de l'espérer. En tout cas, pour nous, c'est un signal important de la part de la France", estime Noémie Kohler, soeur de Cécile Kohler. "On se rend bien compte que la diplomatie a ses limites, surtout dans le cadre de Cécile et Jacques", fait-elle remarquer.
Washington souffle le chaud et le froid avec Téhéran
Cette capacité d'action amoindrie de la France et du Royaume-Uni contraste surtout, à l'heure actuelle, avec les discussions entre les États-Unis et l'Iran. Les derniers pourparlers entre l'administration Trump et Téhéran ont été marqués par une alternance de gestes d'ouverture et de menaces explicites. Depuis son retour à la Maison Blanche en janvier, Donald Trump a affiché sa volonté de relancer des négociations sur le programme nucléaire iranien, tout en réinstaurant la politique de " pression maximale". Cette stratégie combine le rétablissement et le renforcement de lourdes sanctions économiques, notamment contre le secteur pétrolier iranien, afin d'isoler et d'affaiblir Téhéran sur la scène internationale.
Trump a déclaré publiquement avoir écrit au guide suprême iranien, Ali Khamenei, pour proposer des négociations, tout en avertissant que le refus de dialoguer pourrait entraîner une intervention militaire américaine. "Je préfère négocier et parvenir à un accord avec l'Iran. L'autre option serait d'agir, car il est hors de question que l'Iran possède des armes nucléaires", avait-il déclaré début mars.
Du côté iranien, l'ouverture à un dialogue reste conditionnée à la levée des menaces et des sanctions, le Guide suprême refusant de négocier avec des "gouvernements arrogants". Les pourparlers, qui ont repris à Oman après une décennie d'interruption, se sont déroulés de manière indirecte, chaque délégation restant dans des salles séparées et échangeant par l'intermédiaire de médiateurs omanais. Les deux parties ont qualifié cette première réunion de "constructive". La semaine dernière, un quatrième cycle de discussions s'est tenu à Mascate, réunissant l'émissaire américain Steve Witkoff et le négociateur iranien Abbas Araghtchi.
Des pourparlers "difficiles mais utiles" pour Téhéran. Mercredi dernier à Doha, Donald Trump a affirmé que les deux pays sont en passe de trouver un accord et que la république islamique avait "en quelque sorte" accepté les termes. "Nous menons des négociations très sérieuses avec l'Iran pour une paix à long terme", a-t-il affirmé.
L'activisme américain contraste avec la relative impuissance européenne, mettant en lumière la perte d'influence de l'Europe sur la scène internationale, en particulier dans la gestion du dossier iranien. Tandis que Washington parvient à imposer son calendrier et à engager des négociations directes, la France et le Royaume-Uni semblent cantonnés à des réactions défensives, oscillant entre recours juridiques et mesures sécuritaires sur leur propre territoire.