Par Par shartemann
Après les attentats de Nice, François Hollande a de nouveau appelé à l'intensification des frappes en Syrie et en Irak. La participation de la France à la coalition la rend responsable de leurs conséquences dramatiques. Près de Manbij, au moins 56 civils sont morts sous les bombardements. Hommes, femmes et enfants innocents, ils n'ont pourtant pas eu droit à la compassion ni à l'hommage public.
Dans la nuit du 18 au 19 juillet dernier, dans les environs de Manbij, à 100 km au nord-est d'Alep, au moins 56 civils sont morts, selon l'OSDH, sous les bombardements de la coalition internationale anti-EI. Parmi eux, des hommes, des femmes et des enfants. Innocents. Pas moins que ceux de Nice. Selon Airwars, un collectif qui recense les victimes collatérales des actions occidentales en Syrie contre l'EI, 1 422 civils auraient trouvé la mort dans des frappes aériennes. L'administration américaine ne reconnaît que 41 victimes. La France participe à ces frappes. C'est notre riposte aux attentats du 13 novembre et du 14 juillet.
Qu'y a-t-il d'horrible dans les attentats qui touchent la France ? C'est que meurent par dizaines des hommes, des femmes et des enfants innocents. Quelle est notre réponse ? Des frappes militaires qui entraînent la mort par dizaines d'hommes, de femmes et d'enfants innocents. Mais ce n'est pas la même chose ! Dira-t-on peut-être. C'est vrai, il y a des différences. Deux différences au moins. La première, c'est que ces hommes, ces femmes, ces enfants syriens, ne sont pas visés comme tels. Nous ne les considérons pas comme des adversaires, nous faisons le nécessaire, selon les autorités de défense, pour éviter de les frapper. Jean-Yves Le Drian : « nous intervenons à partir de dossiers d'objectifs précis dont l'une des composantes est d'éviter les victimes civiles. »
La deuxième, c'est le silence. Celui de l'indifférence, de l'aveuglement, de l'union nationale. Si l'EI se vante des victimes qu'il fait, nous ne nous en vantons pas. Aucun discours, sur ces victimes. Pas d'hommage. Pas de compassion mondiale. Ni nationale. Pas même de question publiquement posée ou assumée, pas même de débat - peut-on accepter de sacrifier des innocents pour lutter contre le terrorisme ? Mais c'est que ce ne sont que des Syriens, qui vivent loin là-bas et plus ou moins sur les territoires de l'EI. Le « nous » de l'humanité entière, que nous avons la si belle (ou la si commune ?) particularité de revendiquer, ne s'étend pas, apparemment, jusqu'à eux. Et puis elles meurent au nom du bien, sous les bombes de « l'union des forces de l'humanité civilisée » (Vladimir Poutine), union dont vous n'allez tout de même pas contester la nécessité, puisqu'elle permet de combattre les monstres qui sont nos ennemis premiers.
Victimes du terrorisme, nous représentons l'humanité bafouée, les valeurs universelles de liberté et d'égalité. Nous représentons le monde et le monde prie et pleure pour nous. L'humanité entière est touchée à travers nous. Mais pour défendre ces valeurs universelles dont nous nous faisons hérauts, nous devenons bourreaux. Et quand des hommes meurent sous nos bombes, est-ce que nous leur reconnaîtrons le droit de représenter aussi l'humanité entière ? Leurs familles, leurs amis auront-ils au moins droit à notre compassion ? Jusqu'à présent, il semble que, dans notre monstrueuse insensibilité aux maux que nous ne dénonçons que quand ils nous touchent, nous n'avons même pas songé à nous poser la question.
Il est vrai que cette question est difficile à affronter : et si, à force de croire à la barbarie, nous étions devenus barbares ?
Source : lemonde.fr
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