22/06/2022 les-crises.fr  10 min #210687

Top Gun 2 - Derrière la scène

Top Gun Maverick : pourquoi Hollywood reste le meilleur allié de l'armée américaine

Les producteurs peuvent emprunter des équipements coûteux à bas prix, mais le Pentagone utilise les films comme une machine de propagande.

Source :  The Guardian, Steve Rose
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Vitesse de croisière Top Gun : Maverick, avec Tom Cruise.

Tom Cruise est de retour avec le film Maverick. Il enfreint les règles, repousse les limites, frôle la tour de contrôle, puis affiche un grand sourire et s'en sort comme si nous étions encore en 1986. Comme pour son précédant film à succès, il y a une série de règles Top Gun auxquelles Maverick obéit scrupuleusement : celles de la Marine américaine. Sans ses avions de chasse, ses bases, ses porte-avions et sa coopération totale, les films de la série Top Gun n'existeraient pas.

Ce n'est un secret pour personne que le ministère de la Défense (DoD) collabore volontiers et fréquemment avec l'industrie du divertissement, y compris en prêtant ses jouets les plus coûteux. Mais cette coopération a un prix, et il n'est pas seulement financier. Le DoD gère si soigneusement son image à l'écran que certains ont suggéré qu'il est en fait un coproducteur anonyme sur des milliers de films, au point qu'Hollywood fonctionne comme sa machine de propagande.

Il y a très peu de points dans Top Gun : Maverick pour dissiper de tels soupçons. Comme son prédécesseur, il s'agit d'une publicité pour le professionnalisme de l'armée américaine, son matériel sophistiqué et sa philosophie de disons de camaraderie masculine. Top Gun a été le film le plus rentable de l'année 1986 aux États-Unis, et il a présenté la Marine sous un jour si favorable qu'elle a installé des tables d'information (et donc de recrutement) devant certains cinémas. Selon les estimations, le recrutement dans l'armée américaine a bondi de 500 % cette année-là.

Top Gun de l'époque Richard Arlen, Clara Bow et Charles « Buddy » Rogers dans Wings, réalisé en 1927. Photo : Entertainment Pictures/Alamy

Le ministère de la Défense collabore avec Hollywood depuis près d'un siècle, en remontant jusqu'à Wings, le film oscarisé de 1927, le Top Gun de l'époque. Chaque service - armée de Terre, Marine, armée de l'Air, Marines, garde-côtes - a son propre bureau de liaison pour le divertissement à Los Angeles, en plus du bureau du Pentagone, dirigé par Glen Roberts, qui avait 17 ans lorsque Top Gun est sorti et le cite comme une influence. Il a passé 25 ans dans l'armée de l'Air, bien que, comme beaucoup d'autres, il ne soit jamais monté dans le cockpit d'un F-14.

Roberts explique que sa mission consiste à « projeter et protéger l'image de nos forces armées ». Actuellement, ils travaillent sur environ 130 projets de divertissement par an, dit-il - une douzaine de films scénarisés, plus des émissions de télévision, des jeux vidéo et de nombreux documentaires. « Les productions nous aiment parce que nous leur apportons authenticité et crédibilité. Et aussi, elles réalisent des économies substantielles. »

Mais il y a aussi des conditions concernant la représentation de l'armée. « Nous voulons nous assurer que les productions que nous soutenons correspondent à nos valeurs fondamentales », explique Roberts. Les candidats doivent soumettre l'intégralité de leur scénario pour approbation, et accepter toute modification requise. Parmi les limites à ne pas franchir, citons la diffusion d'informations confidentielles ou sensibles, le non-respect de la législation et de la politique gouvernementales américaines, le non-respect de la dignité humaine (comme la représentation de militaires blessés ou décédés) et les inexactitudes : « Si le script dit qu'il s'agit d'un pilote de l'Air Force volant en F-18, et bien, c'est un avion de la Marine ». C'est plus un art qu'une science, dit Roberts, mais il nie que le DoD joue un quelconque rôle proactif dans le processus : « Les réalisateurs sont les créatifs. Nous ne sommes pas la force créatrice Notre travail consiste à les soutenir, vraiment, et non à imposer un programme à leur histoire. »

Prendre parti Transformers de Michael Bay : Revenge of the Fallen de Michael Bay, 2009. Photo : Paramount/Sportsphoto/Allstar

Certains réalisateurs sont devenus très doués pour jouer le jeu des militaires. Jerry Bruckheimer, producteur de Top Gun, a collaboré avec le ministère de la Défense sur des films tels que Black Hawk Down, Armageddon et Pearl Harbor. L'ancien collaborateur de Bruckheimer, Michael Bay, est allé encore plus loin, non seulement dans des films au thème ouvertement militaire, mais aussi avec sa franchise Transformers, d'un militarisme épuisant. Bay s'est un jour vanté d'avoir « une ligne directe avec le Pentagone ». Le prédécesseur de Roberts, Phil Strub, a admis en 2009 que le DoD faisait des recommandations à Bay. « Nous pourrions dire : Hé, vous n'avez jamais montré un X, un Y ou un Z ». Nous leur enverrons des informations, parlerons de leur rôle. Ou bien ils reviendront vers nous et nous diront : « Nous aimerions avoir un C-17. Ou pourquoi pas un porte-avions et des F-18 ? ». En tant que tels, les films Transformers de Bay sont devenus une longue vitrine de la puissance militaire américaine - destinée aux enfants.

On pourrait dire la même chose des films de super-héros. Nous nous sommes habitués, voire anesthésiés, à voir du personnel et des machines militaires dans l'univers Marvel, par exemple. La toute première image du premier Iron Man montre Tony Stark traversant l'Afghanistan avec un convoi de Hummer de l'armée, au son d'AC/DC. Et comme beaucoup de super-héros Marvel, il opère de manière semi-officielle, faisant équipe avec des acolytes militaires tels que son ami Rhodey, et combattant aux côtés des forces américaines dans le cadre du groupe quasi-militaire des Avengers.

Iron Man et Iron Man 2 ont été réalisés avec la coopération du DoD, comme de nombreux autres films Marvel, jusqu'à ce que les relations se détériorent après que The Avengers ait représenté l'armée américaine lançant une attaque nucléaire sur New York. Captain America, dont les origines dans les comics en tant qu'outil de propagande pour l'armée ont été satirisées dans The First Avenger, a commencé à adopter une position plus critique envers son gouvernement dans les films Marvel suivants, comme Winter Soldier. Mais les barrières ont été raccommodées avec Captain Marvel, centré sur la pilote exemplaire de l'armée de l'Air incarnée par Brie Larson. La collaboration était si profonde que l'armée de l'Air a même lancé une campagne de recrutement connexe destinée aux femmes, avec le slogan « Chaque héros a une histoire d'origine. »

La participation militaire va désormais bien au-delà des simples films d'action. Parmi les autres bénéficiaires récents de l'aide du DoD, citons les émissions de télé-réalité culinaire, Pitch Perfect 3 (dans lequel, pour une raison ou une autre, le groupe de filles a capella fait le tour des bases militaires, se produisant même sur scène en tenue de camouflage) et la satire sur le changement climatique Don't Look Up !

Selon une estimation, le ministère de la Défense a collaboré à 2 500 films au fil des décennies, et sa participation n'est pas aussi transparente qu'on le prétend. Dans son livre Operation Hollywood publié en 2004, le journaliste David Robb a expliqué en détail comment « le Pentagone a dit aux réalisateurs ce qu'ils devaient dire - et ce qu'ils ne devaient pas dire - pendant des décennies », citant des exemples allant de Tomorrow Never Dies à Star Trek IV en passant par Lassie. En 2012, le journaliste britannique Tom Secker, qui dirige le site Spy Culture, a commencé à déposer des demandes de liberté d'information pour les communications entre le DoD et Hollywood, et a amassé des dizaines de milliers de pages de documentation, y compris des brouillons annotés de scénarios de films, pour étayer ces affirmations. « Ils peuvent prétendre qu'ils sont relativement ouverts à ce sujet, mais ce n'est pas le cas, déclare Secker. Ils sont ouverts dans la mesure où ils sont impliqués dans Hollywood, mais ils n'ont jamais publié volontairement un ensemble de leurs propres notes de scénario. Et ils ont fait tout ce qu'ils ont pu pour essayer de les dissimuler. »

Secker a trop d'exemples à citer. Dans le script original d'Iron Man soumis au Pentagone, par exemple, Tony Stark était contre les marchands d'armes, y compris son propre père, se plaignant que « la technologie avec laquelle j'essaie de sauver des vies est détournée en armes vraiment destructrices » » Dans le film final, Stark devient un marchand d'armes pour l'armée américaine. Dans la version 2014 de Godzilla, la référence d'un personnage japonais à son grand-père ayant survécu à Hiroshima a été supprimée : « S'il s'agit d'une apologie ou d'une remise en question de la décision de bombarder Hiroshima et Nagasaki, ce sera un coup d'arrêt pour nous », indiquent les notes du Pentagone. À la place, Godzilla, un monstre inspiré par les bombardements atomiques américains, est ranimé par une arme nucléaire et se lance dans la bataille aux côtés des navires et des avions militaires américains.

Independence day le Pentagone a refusé d'aider Oliver Stone à réaliser Platoon en 1986. Photo : Cinetext/Mgm/Allstar

Les scénarios cherchant à aborder des aspects controversés de l'histoire militaire ont été soit fortement modifiés, soit entièrement refusés. Dans les films traitant du racisme ou du sexisme institutionnel, comme The Tuskegee Airmen en 1995, les histoires ont été modifiées pour faire du coupable une seule « pomme pourrie », plutôt que l'institution elle-même. « Ils disent toujours quelque chose de vague, comme : « Oh, c'est juste que nous avons besoin d'une représentation réaliste de la vie militaire », dit Secker. « En pratique, ce que cela signifie, c'est que tout ce qui a trait aux crimes de guerre, aux crimes sexuels, aux problèmes de santé mentale, à la corruption militaire, passe à la trappe. »

Les producteurs de films l'ont confirmé. Les demandes d'aide d'Oliver Stone pour ses deux films sur le Vietnam, Platoon et Born on the Fourth of July, ont été rejetées par le DoD à plusieurs reprises. Aucun des deux récits n'était flatteur à l'égard de l'armée américaine - Platoon dépeint des cas d'abus de drogues, de racisme et de soldats assassinant des civils vietnamiens et entre eux. Born on the Fourth of July traite du SSPT (syndrome de stress post-traumatique, NdT) d'après-guerre. Mais on peut dire que les deux histoires étaient « exactes » - respectivement adaptées des expériences de guerre de Stone et de Ron Kovics, vétéran du Vietnam. « Toute l'éthique de ce bureau au Pentagone est qu'il est censé fournir de l'exactitude aux cinéastes et il fait le contraire », déclare Stone dans Theaters of War, un nouveau documentaire sur les relations Pentagone-Hollywood. « Ils fournissent des inexactitudes et des mensonges ». Nombre des films anti-guerre les plus puissants du cinéma ont renoncé aux conditions du DoD - The Deerhunter, Full Metal Jacket, Apocalypse Now, Dr Strangelove, Three Kings, Thirteen Days, Jarhead. Stone, par ailleurs, s'est vu offrir la chance de réaliser Top Gun. Il l'a refusée.

Lorsque le premier Top Gun est sorti, la défaite humiliante de la guerre du Vietnam était encore fraîche dans les esprits. En tant que tel, le film a fait office de correctif : une histoire apolitique se déroulant en temps de paix, mettant en avant une imagerie cool, une jeunesse insouciante et seulement la plus brève des escarmouches avec un adversaire étranger non spécifié. Peut-on en dire autant de Top Gun Maverick ? Là encore, il se situe à la fin d'une ère d'interventions militaires américaines problématiques, cette fois en Irak et en Afghanistan. Et encore une fois, il s'agit d'une histoire sans bagage politique ni guerre réelle pour tuer l'ambiance.

Il va presque sans dire que la coopération de la Marine avec les réalisateurs de Maverick a été tout aussi élevée qu'avec le Top Gun original. Un « accord d'assistance à la production » entre le ministère de la Défense et Paramount, obtenu par Secker, inclut un accord visant à « intégrer des éléments clés du discours ». L'armée et le monde du spectacle semblent bien s'accommoder d'un tel arrangement, mais les civils restent largement dans l'ombre. Traditionnellement, le rôle de l'armée a été de défendre les États-Unis contre des maux tels que la propagande d'État et le contrôle de la culture, mais aujourd'hui il est plus difficile de savoir où mener le combat.

Source :  The Guardian, Steve Rose, 26-05-2022

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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