21/01/2007 17 articles  10 min #6333

Chroniques de la Palestine occupée

La démocratie pénitentiaire

Le carrossier du

Voyage de Monsieur Perrichon

d' Eugène Labiche prononce deux phrases immortelles qui, grâce à un léger glissement sémantique, éclairent la pathologie des relations qu'entretiennent les Israéliens avec leurs voisins et victimes palestiniennes.

"[Vous:tiu] me devez tout.
[Je:tiu] ne l'oublierai jamais" dit M. Perrichon au jeune homme qu'il se vante d'avoir sauvé d'un grand danger, lequel devient le miroir vivant de sa "belle âme" .
Et la conclusion reprend la même idée en la généralisant.
"

Les hommes ne s'attachent point à nous en raison des services que nous leur rendons, mais en raison de ceux qu'ils nous rendent

.
" Ce qui signifie qu'un service rendu induit un sentiment d'infériorité chez celui qui en est le récepteur et s'accompagne d'un sentiment de rejet, qu'on nomme aussi l'ingratitude, et qui peut aller jusqu'à la détestation du bienfaiteur.
Les Israéliens sont, comme tous les peuples de la terre, capables d'éprouver de la pitié ou de la compassion pour les victimes lointaines d'un tsunami, par exemple, pour les malheurs de leurs amis, ceux de leurs enfants ou même de leur chien.
En revanche, à part quelques personnalités exceptionnelles, dont les témoignages sont bouleversants, ainsi qu'une très faible minorité de la population - les "

justes

" d'aujourd'hui - il faut se rendre à l'évidence que les drames que vivent leurs voisins palestiniens, victimes de leur Tsahal et des décisions de leur gouvernement laissent l'immensité majorité de la population totalement indifférente.
Et même, elle applaudit et en redemande, comme le montraient les signatures et les mots doux des fillettes israéliennes sur les missiles qui allaient pulvériser des fillettes libanaises.
Les emprisonnements arbitraires et les tortures que subissent des milliers de détenus qui croupissent dans leurs geôles - y compris des femmes et des enfants - glissent sur leur sensibilité comme l'eau sur la plume d'un canard et sont quasiment inexistants dans leurs journaux écrits, parlés ou télévisés.
Cela nous " [interpelle quelque part:tii] ", comme on dit chez les psychanalystes " [branchés:tii] ".

C'est pourquoi il m'a semblé que le "

Complexe de M.
Perrichon

" apportait un début de compréhension de cette étrange pathologie, qui se manifeste par l'insensibilité et la non compassion et aboutit à une déshumanisation des victimes.
Cette pathologie est d'ailleurs la même que celle qu'ont subie les victimes des camps nazis.
En effet, elles aussi reprochaient amèrement leur indifférence à la population allemande :

ils savaient et se sont tus, ils sont donc tous coupables

.
Or, dans un gouvernement qui se veut "[démocratique:tii] ", la ligne d'un gouvernement est, globalement, le reflet du sentiment général des électeurs.
La violence de l'armée n'est donc que le reflet de la violence des sentiments des Israéliens eux-mêmes.

Les Palestiniens sont les bienfaiteurs d'Israël

Il est certes paradoxal à première vue de présenter les Palestiniens dans la situation du jeune homme qui, en sauvant la vie à M.
Perrichon , devient son bienfaiteur et les Israéliens dans la peau d'un M.
Perrichon qui souffrirait d'un complexe d'infériorité et haïrait son bienfaiteur pour ce motif.
Or, bien qu'ils ne le l'avouent évidemment pas, les Israéliens savent que les Palestiniens sont leurs bienfaiteurs - bienfaiteurs malgré eux, certes, mais bienfaiteurs tout de même, car ils ont été contraints " [d'offrir:tii] " leurs terres et leurs maisons aux nouveaux venus.
Ceux-ci s'en sont emparés sans trop se poser de questions.
En effet, l' Etat d'Israël s'est installé sur 78% des terres et des maisons appartenant à des Palestiniens, en a chassé la population par la violence, les massacres et des intimidations diverses.
Aujourd'hui, il poursuit inlassablement une occupation prédatrice - officielle ou souterraine - chapardant mètre carré par mètre carré l'espace réservé aux habitants originels, lequel se réduit comme une peau de chagrin.
Le déni du vol est subsumé par les expressions "

le temple de Jérusalem était vide

" ou "

une terre sans peuple pour un peuple sans terre

" qui ont formé le credo israélien pendant des années.

Le déni de l'existence des victimes

Israël a donc tenté - et partiellement réussi pendant un certain temps - à occulter les circonstances de son installation.
Le retour du refoulé se manifeste par une haine de l'Etat juif pour les victimes de sa politique.
Cette haine suinte dans chacune de ses actions à l'encontre des Palestiniens .
C'est pourquoi nous voyons un personnage qui s'appelle " [Israël:tii] " et dont l'imaginaire du projet sioniste repose sur le statut de victime qu'il s'est octroyé.
Il brandit ce statut de "victime éternelle" comme un bouclier contre toutes les critiques de sa politique.
Mais ce personnage est déchiré entre son rêve - donc l'image idéale qu'il veut donner de lui-même - et une réalité sinistre qui lui saute chaque jour à la figure.
La haine est partout tellement omniprésente qu'elle en devient concrète, palpable et culmine avec le déni de l'existence même de sa victime-ennemie.

Le rêve poursuivi est clairement celui de l'anéantissement des Palestiniens.

Alors qu'Israël se proclame menacé par des forces obscures et féroces qui voudraient " [rejeter sa population à la mer:tii] ", comme il dit, on voit jour après jour se produire exactement le contraire : à savoir le bulldozer israélien comprimer la population palestinienne dans un espace de plus en plus resserré, de plus en plus hermétiquement cadenassé dans l'espèce de camp de concentration à ciel ouvert qu'est devenu le Territoire de Gaza et aussi dans les banthoustans de Cisjordanie dont les surfaces sont grignotées jour après jour.

Le mur est le stade ultime de ce déni de l'existence même des Palestiniens.

Le mur est là non pour " [protéger:tii] " - prétexte invoqué pour faire avancer le bulldozer de la colonisation - mais pour tenter de cacher et d'oublier le péché originel de la fondation d'un Etat juif "pur" .
Le mur est si haut que les Palestiniens, devenus invisibles, n'existent plus dans le champ du regard des Israéliens.
Ils finissent par s'effacer et par devenir des des zombies abstraits.
Quant aux cadavres que Tsahal laisse sur le carreau, ils s'évanouissent dans la comptabilité macabre des statistiques.
Malgré le mur, Israël ne parvient pas occulter qu'il y avait un ver dans le fruit.
Dans la postérité de M.
Perrichon, il exprime sa fureur et son impuissance de continuer d'être le

débiteur de sa victime

.
Les bombes, les missiles, les massacres de familles entières, les destructions, les arrestations arbitraires, les tortures hurlent le dépit de Goliath ("

Je vous dois tout.
Je n'arrive pas à l'oublier

"), dépit assaisonné de la rage et du ressentiment de se trouver dans cette situation.

Les Palestiniens sont le miroir dans lequel Israël voit son péché.
La laideur de l'image que le miroir lui renvoie révolte la "[belle âme:tii] " israélienne, et la pousse, tel le

Dorian Gray

d'Oscar Wilde, à vouloir briser ce miroir.
Mais comment tuer quatre millions d'individus sans susciter un scandale international et passer du stade officiel de

victime

à celui de

bourreau

?

La demande de "reconnaissance"

La demande compulsionnelle, malgré un déséquilibre sidéral des forces en présence, que les victimes impuissantes et pratiquement désarmées reconnaissent au Goliath militaire ce qu'il appelle "

le droit à l'existence d'un Etat juif

" dépasse l'exigence politique rationnelle.
Ce qu'Israël attend des Palestiniens,

c'est qu'ils lui offrent ce qu'il a déjà pris

, tel un voleur qui demanderait au volé de lui offrir volontairement son larcin.
La fureur d'Israël devant le refus obstiné des victimes explique seule la violence disproportionnée et l'escalade ravageuse des représailles aveugles de l'armée et finalement le recours à la famine avec la complicité active du [machin:tii] qu'on appelle "

la communauté internationale

" .

De plus, dans l'expression

"droit à l'existence d'un Etat juif

", Israël et la fameuse et fantomatique "[communauté internationale:tii]" feignent de faire croire au monde que le mot important serait "

existence

" parce que les Israéliens seraient menacés d'un "[nouveau génocide:tii]".

Erreur, les mots importants sont "

Etat juif

".
En fait, Israël demande aux Palestiniens rien moins que de reconnaître qu'Israël jouirait du privilège d'être un Etat ethniquement pur - ou racialement pur, comme on voudra.
En conséquence, les Palestiniens "[reconnaîtraient:tii]", dans la foulée et [a posteriori, :tii]la légitimité de leur statut de parias chassés de leurs terres et de leurs maisons.
Pire encore, par une "[reconnaissance:tii]" de ce type, ils donneraient à Israël la légitimité juridique d'expulser à l'avenir les "non-juifs", à savoir les 800 mille à un million de Palestiniens obstinément restés sur place.

Et que disent de ce mirobolant projet de purification ethnique la kyrielle de ligues et d'associations anti-racistes ?

Rien

.

Le temple de Jérusalem n'était pas vide et la taupe de la mauvaise conscience ronge une population tout entière frénétiquement occupée à nier la faute du génocide larvé d'un autre peuple dont elle a pris la place.

Voilà pourquoi Israël est le seul Etat au monde dans lequel il n'existe pas de citoyenneté générale.
Il est, en effet, resté sur place, comme il a été rappelé ci-dessus, près d'un million d'obstinés Palestiniens, particulièrement coriaces, attachés à leur lopin, recensés sous le nom d'"[arabes israéliens:tii] ".
Comme il n'est pas question d'en faire des citoyens de plein droit d'un "Etat juif", du coup, personne n'est officiellement "

israélien

".
Sur les documents officiels de cet Etat figurent les mentions "

Juif

" pour les citoyens de première classe, alors que plusieurs dizaines de "[nationalités:tii] " ou d' entités, affublées d'un statut inférieur, s'éparpillent sous les vocables "

arabe

", "

russe

", "

arménien

", etc.

On comprend mieux pourquoi une député, Mme Tartman, a pu dire récemment, à la suite de la nomination d'un ministre non juif - [arabe:tii], comme ils disent - que c'est "

un coup de poignard dans le dos du Judaïsme

" et qu'il faut "

déraciner ce mal terrible d'entre nous

".
Mais elle ne sait pas que le "

Mal

" est indéracinable, car c'est dans la conscience même de chaque Israélien qu'il faudrait aller le traquer.
La faiblesse n'est donc pas là où l'on croit la voir, car le sentiment de force ou faiblesse sont d'abord dans les têtes.
La capacité d'endurance des Palestiniens et leur volonté de résistance sont des forces telles qu'elles commencent à déconcerter et à déstabiliser le Moloch armé jusqu'aux dents.
Malgré la puissance de feu de son armée, qui a fini par mettre l'Etat tout entier à son service, Israël se trouve dans une situation morale et légale de

demandeur,

donc

d'infériorité psychique

et finalement d'impuissance.
Celle-ci se traduit par la fureur avec laquelle son armée pilonne sans pitié et sans discrimination la population civile.
Elle explique aussi la frénésie avec laquelle cet Etat exige d'être "

reconnu

" par ses victimes.

La guerre messianique

Mais il n'a rien à offrir en échange car dans une guerre entre le "

Bien

" et le un "

Mal terrible

", telle que la révèle la député Tartman, il n'y a pas de place pour un compromis politique équitable.
Seules la capitulation et la soumission peuvent être proposées.
Dans

La Guerre et la Paix

, Tolstoi fait dire au Général Koutouzov que le vainqueur est le dernier qui tient le terrain et qui ne déserte pas le champ de bataille.
Mais la loi de la force, même cachée derrière l'étendard d'un messianisme biblique, a des limites, surtout dans une civilisation de l'image

C'est pourquoi, comme les résistants libanais face à l'armada israélienne en juillet-août 2006, les Palestiniens ne peuvent que se regrouper derrière la devise :

Tenir et Résister

, et surtout résister aux tentatives de division interne et de guerre civile, qui semble la dernière man?uvre à laquelle Israël et les USA tentent de procéder.

20 janvier 2007
 perso.orange.fr

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